Au cours de la préparation de ce tour du monde, je me suis rendu compte de l’influence allemande en Amérique du Sud et plus particulièrement au Chili. J’avais en mémoire la capture et le procès Eichmann et de ce qu’Anna Arendt en avait déduit avec sa fameuse expression de « banalité du mal ». Je connaissais les rumeurs concernant Pinochet et ses rapports avec d’anciens nazis. J’avais vu un documentaire sur la fuite de Mengele. Mais je me suis aperçu que l’immigration allemande était beaucoup plus ancienne et profonde surtout dans le Sud du Chili
Si des Allemands ont émigré au Chili, c’est d’abord parce que le gouvernement chilien les y a invités, pour des raisons économiques, sociales et stratégiques. Depuis sa rupture avec l’Espagne en 1810, la République chilienne peine à contrôler le territoire qu’elle s’est assigné, luttant contre la résistance espagnole, des prétentions étrangères, argentines, mais aussi anglaises et fran-çaises, réelles ou fantasmées
Les troubles viennent surtout d’éléments intérieurs. Une grande partie du territoire austral est restée sous contrôle des tribus indiennes, les Mapuches, rendant la souveraineté territoriale du Chili fictive.
L’administration républicaine est absente de Concepción à l’île de Chiloé.
En réalité, en 1810, ce qui est appelé « Chili » est une capitainerie générale encore très réduite, qui est bien loin de recouvrir le territoire que nous lui connaissons aujourd’hui. Il s’agit donc, pour la toute jeune République, de conquérir un territoire qui n’a jamais fait partie du Chili colonial. Soucieuse d’étendre sa souveraineté, elle développe alors des projets de colonisation, en direction des vastes territoires du Nord et du Sud, faisant sienne la citation du politique argentin contemporain Juan Bautista Alberti : « Gouverner, c’est peupler . »
Au Chili et en Amérique latine en général, dans de larges secteurs de l’élite politique, le désir d’expansion nationale s’associe à des projets d’immigration de main-d’œuvre étrangère, dans l’objectif de développer les espaces vides qu’une faible démo-graphie ne saurait combler
À la motivation politique, s’ajoutent ainsi des justifications économiques. Alors consul du Chili à Hambourg, Vicente Pérez Rosales , communément reconnu comme le « père de la colonisation allemande au Chili », rédige un Essai sur le Chili dans lequel il expose les motivations de son gouvernement : le Chili, riche en ressources, manquait de main-d’œuvre capable d’exploiter ce potentiel économique. Le problème du développement était directement lié au manque d’esprit d’entreprise et de formation de la population chilienne, explique-t-il
L’historien Tulio Halperin Donghi souligne que l’appel à l’immigration s’insère dans les projets libéraux de transformations économiques et sociales, tendances qui se sont accentuées au cours du xixesiècle, lorsque les États-Unis démontrèrent que l’immigration pouvait contribuer au développement économique du pays.
Les projets d’immigration chiliens datent des toutes premières années du processus d’Indépendance. En 1811, le militaire et politique José Miguel Carrera propose de faire venir des immigrants irlandais qui collaboreront à la cause indépendantiste
De même, Bernardo O’Higgins fait approuver pendant son gouvernement divers projets de colonisation, notamment en faveur des Anglais, des Irlandais et des Suisses. La Loi de protection de l’Industrie, en 1824, encourage l’installation d’étrangers, en échange d’exemptions diverses d’impôt pendant dix ans
Considéré comme le meilleur candidat à l’immigration, l’Allemand emporte cependant la faveur des politiques. Issu d’un territoire fragmenté en une multitude d’États et de principautés, il ne risque pas de servir de prétexte à une intervention d’une super puissance à prétention colonialiste.
Dans son rapport au gouvernement sur l’immigration étrangère, le député Benjamin Vicuña Mackenna explique ainsi en 1865 :« L’avantage le plus positif que présente l’Allemand, dans la colonisation de l’Amérique ibérique, est de ne pas être le sujet de ces puissances maritimes orgueilleuses ou fantastiques qui, pour chacun de leurs citoyens, nous envoient un canon […] . »
Les frères Philippi, Rudolf Amandus et Bernhard Eunom, originaires de la Hesse, sont les protagonistes de l’émigration allemande au Chili. Le premier, naturaliste au service du gouvernement chilien depuis les années 1830, et le second, aventurier matelot, sont deux Chiliens d’adoption. Bernhard Eunom a mené plusieurs explorations dans les territoires australs, au cours desquelles il redécouvre notamment le lac de Llanquihue, jusqu’à sa mort mystérieuse dans les territoires de Magellan en 1852
C’est lui, qui, le premier, a l’idée de faire venir des Allemands pour coloniser les régions des rivières et des lacs, de Valdivia à Chiloé et qui, par l’intermédiaire de son frère, diffuse le projet en Allemagne. Les neuf premières familles allemandes, soit 34 personnes, arrivent à bord du « Catalina » le 25 août 1846, dans le cadre d’une colonisation privée orchestrée par des figures du commerce international de Valparaiso
Les projets d’immigration officielle se concrétisent lorsque le gouverne-ment chilien promulgue, le 18 novembre 1845, la Loi de colonisation, par laquelle sont concédées à l’État 6 000 cuadras destinées à recevoir des colonies nationales et étrangères
Le 27 juillet 1848, B.E. Philippi est nommé agent de colonisation en Allemagne Il est chargé de procéder au recrutement de 150 à 200 familles d’agriculteurs et d’artisans destinés à la colonie témoin de Llanquihue. Les premiers colons qui débarquent sont tous protestants, en contradiction avec les instructions du gouvernement qui exigeait des catholiques. En Allemagne, Philippi n’était pas parvenu en effet à convaincre les prélats catholiques d’inciter leurs fidèles à émigrer
Il est remercié d’un exil déguisé dans les terres magellanes, avant d’être remplacé par Vicente Pérez Rosales , intendant de Valdivia de 1850 à 1855, consul du Chili à Hambourg de 1855 à 1858.
Ainsi, au terme d’une préhistoire complexe et chaotique, faite de malentendus, de divergence d’intérêts et d’acquisitions frauduleuses au détriment du peuple Mapuche , le projet d’une immigration allemande au Chili a finalement pu se concrétiser sous la force de trois facteurs convergents : la volonté du gouvernement chilien, l’action d’individus pour amener ces colons directement au Chili et la prédisposition, chez ces colons potentiels, à l’émigration
L’émigration allemande au Chili connaît trois phases nettement identi-fi ées par Jean-Pierre Blancpain , et qui correspondent à autant de migrations de nature et d’importance différentes
Dès 1850, le quotidien El Araucano dégage trois types d’immigrés : ceux recrutés par l’État, ceux venus pour le compte de particuliers et ceux qui ont émigré librement, ce dernier groupe concernant surtout la bourgeoisie de Valdivia et Osorno
Une première vague d’immigration s’étend de 1846 à 1875. Elle com-mence avec l’immigration privée, bientôt relayée par l’immigration officielle encouragée par la Sociedad Nacional de Agricultura, créée en 1838. Elle est numériquement faible, mais socialement riche et diverse, composée de bour-geois, artisans et paysans, économiquement en risque de prolétarisation ou politiquement vaincus en Allemagne. C’est une immigration qui occupe les régions du Sud, à Valdivia et autour du lac Llanquihue
On compte en 1870 quelques 3 000 Allemands formant une « microsociété pionnière », selon le mot de Simon Collier . À partir de 1875, cette première vague se tarit, sans doute par épuisement des réseaux géographiques et familiaux de recrutement.
La seconde vague reprend en 1882 jusqu’en 1890 et s’inscrit dans un projet d’immigration chilien multinational mené essentiellement par la Sociedad de Fomento Fabril, organisme de promotion du développement industriel et par l’intermédiaire de l’Agencia General de Colonización e Immigración de Paris, deux institutions créées en 1883. Le gouvernement chilien craint en effet de possibles mouvements nationalistes au sein des colonies allemandes,qui, désormais, relèvent de l’une des plus grandes puissances européennes récemment unifi ée. Il préfère miser sur la diversité nationale et encourager l’assimilation. Sont recrutés des ouvriers agricoles des marches orientales et des prolétaires berlinois, qui s’installent au sein de colonies étrangères entre le Bio-Bio et le Tolten. Suisses et Allemands côtoient alors Français, Basques, Espagnols, Italiens, mais aussi des colons nationaux. La dispersion géographique intentionnelle produit une intégration rapide, ce qui distingue nettement cette deuxième vague de la première, géographiquement isolée, concentrée et donc plus prompte à maintenir ses caractères d’origine.
De 1890 à 1914, l’émigration allemande se poursuit, mais se diffuse sur l’ensemble du territoire chilien, des régions minières du Norte Grande à la région de Magellan. Deux centres principaux se dégagent cependant à Chiloé et sur la Frontera, cette frontière interne jusqu’alors gardée par les Indiens.
Après la Première Guerre mondiale, l’émigration est ponctuelle et numé-riquement insignifiante. Quelques Allemands viennent encore peupler Peñaflor, près de Santiago, en 1929, La Serena, au Nord, en 1946. Santiago de réels immigrés, remarque Jean-Pierre Blancpain
Il s’agit souvent d’un déplacement par obligation et non par choix, rendant l’insertion dans le pays d’accueil moins poussée et la perspective du retour toujours consciente et sensible à tout changement politique dans le pays d’origine. Le Chili a ainsi accueilli tour à tour des réfugiés juifs fuyant le régime hitlérien, puis, dans une moindre mesure, après la Seconde Guerre mondiale, ces mêmes nazis et criminels de guerre .
Le courant migratoire allemand au Chili est multiple et complexe. Ses différentes variantes invitent à différencier les Allemands selon leur statut au Chili . Les Deutschensont des « Allemands » qui passent un temps délimité au Chili. Il peut s’agir du personnel diplomatique, de religieux, de scientifiques ou de voyageurs. Les Chile-Deutschen ou « Allemands du Chili », sont en revanche des citoyens allemands, nés en Allemagne, qui conservent leur nationalité allemande, ne faisant que transiter par le Chili, où ils vivent cependant de manière prolongée. Ce sont des commerçants, agents de compagnies maritimes, banquiers, docteurs, professeurs, ingénieurs ou industriels. Il existe aussi une main-d’œuvre semi industrielle, dans les villes commerçantes de Valparaiso, Santiago y Concepción, dans les régions minières du Nord. Enfin, les Deutschchilenen, les « Germano-chi-liens » ou les Deutschstämmigen Chilenenou Chilenen deutscher Herkunft, les « Chiliens d’origine/d’ascendance allemande », désignent le groupe des immigrés allemands au Chili et leurs descendants. Ces derniers ont la natio-nalité chilienne, sont bilingues et leur origine allemande ressort en général de leur patronyme.
Entre les Chile-Deutschenet les Deutschchilenen, Georg Young identifie un rapport proportionnel constant de deux-tiers pour un tiers en faveur des seconds .Dans les années 1930, on compte 9 000 Chile-Deutsche pour 20 000 à 30 000 Deutschchilenen. À la même époque en Argentine, les Deutschargentinen, ou « Germano-argentins », sont estimés à 200 000 indi-vidus et Argentina-Deutschen, ou « Allemands de l’Argentine », à 65 000. Au Brésil, les Deutschbrasilianenà 700 000 et les Brasil-Deutschen à 95 000. Jean-Pierre Blancpain signale des chiffres d’entrées approximatifs de
Dérisoire donc que cette immigration allemande en direction du Chili, mais si importante quant à ses conséquences. Rien n’est plus vrai que cette expression de Jean-Pierre Blancpain : « Au Chili, les Allemands ne se comptent pas, ils se pèsent. » En effet, la présence et l’influence de l’immigration allemande au Chili est de nos jours encore perceptible, en particulier au Sud du pays, où l’on entend parler allemand. La culture et les traditions sont également préservées, à travers l’éducation, dans les écoles allemandes, et les institutions et associations, telles que l’ « association germano-chilienne », le Deutsch-chilenischer Bund ou Liga chileno-alemana. Aujourd’hui, le Chili est l’un des pays étrangers qui compte, proportionnellement à sa population, le plus grand nombre d’écoles allemandes, les Deutsche Schule
Or, dans le maintien de l’identité allemande au Chili est souvent mentionné le rôle des femmes. Ce sont elles qui enseignent la langue aux enfants, cuisinent les plats typiques et décorent la maison à la manière traditionnelle, expliquent brièvement les ouvrages. À travers cette évocation surgit alors une réalité encore peu étudiée : l’expérience migratoire de femmes allemandes au Chili.
LES NAZIS ALLEMANDS AU CHILI
LA COLONIE DIGNIDAD
La colonie Dignidad est une colonie agricole recluse et sectaire fondée au Chili en 1961 par des expatriés allemands dont notamment Paul Schäfer (ou Schaefer), ancien nazi et brancardier de la Waffen-SS, condamné en 2006 pour abus sexuels sur mineurs.
Pendant la dictature militaire d’Augusto Pinochet, la colonie bénéficia de la protection du dictateur et servit, en contrepartie, de lieu d’emprisonnement et de torture d’opposants politiques. En 1991, suite au retour de la démocratie, la colonie perdit son statut de société de bienfaisance et devint la Villa Baviera Paul Schäfer avait déjà été, dans la jeune RFA, le fondateur d’un établissement destiné aux orphelins de guerre. Œuvre louable en apparence mais qui avait fini par attirer l’attention de la justice en raison de plusieurs plaintes révélant la pédophilie de Paul Schäfer. Néanmoins, ce dernier parvient, non seulement à échapper aux poursuites en s’exilant au Chili mais, de surcroît, à se voir attribuer, par les autorités chiliennes (sous la présidence de Jorge Alessandri), un territoire de 3 000 ha au sud de Santiago qui était anciennement une colonie italienne. Territoire sur lequel il est censé reproduire son action « caritative » auprès des populations déshéritées de la région. C’est ainsi que naît la Colonie Dignidad.
La Colonie Dignidad étend son territoire et constitue, en plein territoire chilien, une enclave hermétique mais néanmoins prospère de plusieurs centaines de kilomètres carrés, accumulant privilèges et exemptions. Soit une zone de non-droit dans laquelle Schäfer, nostalgique du IIIe Reich, règne en maître absolu tout en profitant de sa position pour violer des mineurs. La dictature d’Augusto Pinochet et sa DINA (la police politique) fermeront complaisamment les yeux, trouvant dans la Colonie Dignidad une base arrière bien confortable dans le cadre de l’Opération Condor. La colonie a, en effet, servi d’usine d’armements, d’école et centre de torture et de base de retransmission des informations sur les opposants marxistes et socialistes2. De même que Pinochet, Manuel Contreras visitait régulièrement la Colonia Dignidad1.
La colonie disposait d’installations inhabituelles dans cette région du Chili, aussi éloignée de la « carretera central » : un hôpital, une piste d’aéroport, une centrale électrique… Elle disposait aussi de licences pour exploiter le titane et, semble-t-il, l’uranium 3. De son implantation originelle, la colonie s’est encore agrandie, soit en achetant les terres des « campesinos », soit en se les appropriant sans droit. Deux propriétaires ont néanmoins résisté aux Allemands : un petit fermier chilien, dont la ferme se trouvait juste avant l’entrée principale de la colonie, et le couvent San Manuel, habité par quelques nonnes dirigées par Madre Paulina, la sœur de Don Carlos Camus, évêque de Linares et l’un des fondateurs du Vicariat de Solidaridad, institution qui venait en aide aux plus démunis et aux victimes de la dictature. Les sœurs du couvent San Manuel (six hectares donnés par les colons italiens qui se trouvaient là avant les Allemands) ont longtemps été persécutées par les Allemands de Dignidad mais ont toujours résisté.
À l’intérieur de la colonie, l’organisation sociale était basée sur le travail forcé et l’interdiction de toute individualité. Les jeunes étaient forcés à se « reproduire » et les bébés étaient retirés à leurs parents au bout de quelques mois. Rares sont les personnes qui ont pu s’enfuir de la colonie (seulement 5 en 40 ans). Vu la qualité du matériel médical qui s’y trouvait, il arrivait que les paysans voisins s’y rendent et y soient soignés gratuitement. Mais ces soins gratuits furent aussi l’occasion d’au moins un kidnapping d’enfant. D’autres enfants chiliens ont aussi disparu dans la région, dont deux jumeaux4. Des témoignages semblent laisser penser que le docteur Mengele, en fuite depuis 1945, aurait séjourné occasionnellement dans la colonie5.
En mars 1977, Amnesty International Allemagne a publié une enquête très complète sur la Colonie Dignidad6, mais le pendant allemand de la colonie a intenté un procès contre l’ONG pour interdire la diffusion de l’enquête. Le juge a accédé à la demande en statuant sur la forme et non sur le fond de l’enquête. Celle-ci n’a donc pas pu être diffusée. [ La presse chilienne elle-même, sans trop se compromettre, a écrit des articles sur la colonie (ferme modèle, persécutions des sœurs de San Manuel, rapts d’enfants, etc.). Le premier reportage télévisé sur la colonie a été réalisé en 1983 par le jeune candidat au jeu télévisé La Course autour du monde François Hubert. Aussitôt diffusé sur les chaînes francophones (Antenne 2, SSR, SRC, RTL), le couvent San Manuel ainsi que les Chiliens qui avaient aidé le jeune réalisateur ont été persécutés (l’un d’eux arrêté et torturé)7.
L’impunité dont bénéficiait la Colonie Dignidad va partiellement et progressivement s’effriter après la fin de la dictature Pinochet (en 1990). En 1991, elle perd son statut d’association caritative et se rebaptise Villa Baviera. En 1996-1997, l’étau se resserre autour de Paul Schäfer, accusé d’abus sexuels sur mineurs et de torture. [ En 1997, il disparaît de la circulation et échappe aux enquêteurs durant plusieurs années. Il est alors âgé de 76 ans, et certains le pensent mort. Il est finalement capturé en Argentine en mars 2005. Schäfer est mort en prison, le 24 avril 2010, des suites de problèmes cardiaques, à l’âge de 89 ans. Malgré la condamnation à 33 ans de prison pour abus sexuels, et certaines condamnations pour avoir violé la loi sur la détention d’armes, pour homicide et torture, il n’aura jamais été condamné pour tous les crimes qu’il a commis, et emporte sans doute beaucoup de secrets dans sa tombe.
Interrogé en mars 2005 par le juge Alejandro Madrid à propos de la mort de l’ancien président chrétien-démocrate Eduardo Frei Montalva, l’Américain Michael Townley, agent de la DINA, avoua l’existence de liens entre la Colonia Dignidad et le Laboratoire de guerre bactériologique de l’armée chilienne. Les enquêteurs soupçonnent que le poison qui a tué Frei Montalva dans la clinique de Santa Maria en 1982 a été élaboré dans cet endroit. Ce nouveau laboratoire de l’armée, à l’intérieur de la Colonia Dignidad, aurait été, selon Townley, le successeur du laboratoire de la DINA Via Naranja de lo Curro, où Townley travaillait avec le chimiste Eugenio Berrios. Townley a aussi témoigné au sujet d’expériences biologiques commises sur des prisonniers dans ce camp de détention
A noter que lors de l’arrivée au pouvoir du gouvernement dit « de transition », dirigé par le social-chrétien Patricio Alwyn, et devant les révélations de plus en plus nombreuses et précises, des enquêtes furent menées, dès 1989, portant sur…la situation fiscale des entreprises développant des activités économiques au sein de Dignidad !
Dès que les accusations, fondées sur de nombreux témoignages de tortures, d’assassinats, de séquestres, de sépultures clandestines, d’enlèvements d’enfants, de trafics d’organes, de viols de mineurs et de mauvais traitements, furent connues de l’opinion publique, se mit en place tout un réseau de protections qui impliquait la police, des magistrats, la Cour suprême, les Forces armées, des personnalités de l’Eglise catholique et l’ambassade de RFA. Et bien entendu le journal « El Mercurio », auprès duquel « La Libre Belgique » paraît dangereusement révolutionnaire.
Sauvant la face, le « gouvernement de la transition à la démocratie » obtint la dissolution de l’entité juridique « Colonie de bienfaisance Dignidad », en 1991.
Ce n’est qu’en 1997 que la justice entama des poursuites contre Paul Schaeffer pour faits de pédophilie, sans que jamais il fût question d’autres inculpations. Bien entendu, Schaeffer est maintenant introuvable. Alors que la colonie héberge des citoyens allemands, jamais la justice allemande, et moins encore les autorités, n’ont entamé la moindre démarche, fut-ce-t-elle diplomatique, pour assurer la protection de ses ressortissants.
En 1997 encore, le président de la Cour suprême recevait personnellement des dignitaires de la colonie et leurs avocats.
RASSEMBLEMENT NAZI
Dès 1997, des néonazis chiliens annoncèrent leur souhait d’organiser, en avril 2000, un rassemblement international pour célébrer l’anniversaire de naissance d’Adolf Hitler. Ce rendez-vous nostalgique n’a fait l’objet que de timides protestations, principalement d’organisations politiques de jeunesse et d’un petit noyau de jeunes se réclamant de la lutte des Juifs du ghetto de Varsovie.
Le secrétaire d’Etat à l’Intérieur a déclaré qu’il serait mis des obstacles à la présence d’étrangers ayant subi des condamnations pour faits de violence. On ne peut s’empêcher de penser que pour ce qui est de la présence de nationaux-socialistes, fascistes et autres nazis, le gouvernement démocrate-chrétien-socialiste a déjà fait preuve de sa volonté de préserver le pluralisme qui sied à un pays qui a restauré la démocratie.
C’est précisément parce qu’il s’agit de restaurer la démocratie au Chili que nous devons entamer une campagne internationale pour l’interdiction du rassemblement néonazi prévu en avril 2000. Celui-ci serait le symbole d’une nouvelle défaite, non seulement pour le peuple chilien, mais pour tous les peuples du monde et pour tous ceux qui luttent contre le fascisme sous toutes ses formes et pour les véritables droits de l’Homme.
ILE DE PAQUES ET HITLER
Pour un million de dollars de l’époque, le Chili a voulu vendre l’île de Pâques à l’Allemagne nazie. Une négociation tenue top secrète, jusqu’à aujourd’hui.
L’île de Pâques a accueilli plus de 116 000 touristes en 2017. Pourtant, le Chili a bien failli vendre ce territoire, classé au patrimoine mondial de l’Unesco avec ses statues moaï, à l’Allemagne nazie. Ce que rapporte l’écrivain espagnol Mario Amoros dans Rapa Nui. Une plaie dans l’océan (Ediciones B).
Le Chili est frappé par la crise de 1929 et a besoin d’argent pour renforcer sa défense maritime par peur d’une nouvelle guerre avec la Bolivie et le Pérou. Le gouvernement chilien pense alors à l’île de Rapa Nui, marquée par la lèpre et un pouvoir éloigné, à 3 500 kilomètres des côtes chiliennes. À l’époque, elle est estimée à un million de dollars. Ce qui aurait permis au pays d’acquérir deux navires pour la Marine.
Des négociations secrètes avec Adolf Hitler
Le gouvernement chilien voulait vendre l’île au plus offrant, c’est-à-dire aux États-Unis, le Japon, la Grande-Bretagne ou l’Allemagne nazie. En 1937, les négociations entre le président chilien Arturo Alessandri et le dictateur totalitaire allemand Adolf Hitler commencent.
Le professeur hongrois Ferenc Fischer découvre en 2011 un document sur ces discussions tenues secrètes entre les deux pays. Un document conservé dans les archives du ministère des Affaires étrangères à Bonn en Allemagne, qui résume une rencontre avec l’ambassadeur d’Hitler au Chili et le ministre des Affaires étrangères. Une négociation qui n’a rien donné, comme celles avec les États-Unis, le Japon et la Grande-Bretagne.
Aujourd’hui, l’île n’est plus connue pour sa lèpre mais pour ses statues des moaï. Elle est même victime de son succès, l’obligeant à réguler son flux de touristes.
LES NAZIS EN AMERIQUE DU SUD
Après la défaite de l’Allemagne nazie, les fascistes ont été poursuivis partout dans le monde ou presque. Il y avait cependant les endroits où l’on était très ravi de leur donner refuge. Les pays d’Amérique latine ont accueilli à bras ouverts des dizaines de milliers de criminels nazis ayant fui l’Europe. Les anciens responsables de l’Allemagne fasciste ont créé une centaine de sociétés en Argentine et plus de 250 au Chili, en Uruguay, au Venezuela, en Bolivie et en Equateur.
Ce n’est pas un hasard si la « route des rats », comme on appelait les réseaux d’exfiltration nazis, menait en Amérique du Sud. Celle-ci avait des liens économiques très étroits avec l’Allemagne, établis avant la Première guerre mondiale dans laquelle de nombreux pays de cette partie du globe avaient gardé leur neutralité. Les économies argentine, brésilienne, chilienne et autres étaient toujours fortement dépendantes des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne. Ces derniers préparaient d’ailleurs une nouvelle guerre contre l’URSS par les mains des « anciens » fascistes. Beaucoup de Latino-américains voyaient donc en Allemagne nazie un contrepoids à l’omnipuissance de Londres et de Washington sur l’arène internationale, dit le directeur du Centre de recherche et d’information de l’Institut de l’Amérique latine de l’Académie des sciences de Russie Alexandre Kharlamenko.
« Les opinions +anti-yankee+ sont fortement répandues en Amérique latine. Je n’ai pas dit +antiaméricaines+, parce que les Latino-américains se positionnent aussi en Américains. Les dictateurs latino-américains sympathisaient avec les nazis et les fascistes pour des motifs idéologiques. Des sous-marins nazis et japonais s’avitaillaient au Nicaragua et dans les pays voisins ».
Il y avait deux principales filières de la « route des rats » : la première exfiltrait les nazis munis de faux papiers d’Allemagne vers l’Argentine via l’Espagne ; la deuxième, de l’Allemagne vers Rome et Gênes et ensuite vers l’Amérique du Sud. Les autorités argentines ont même mis en place leurs propres filières à travers la Scandinavie, la Suisse et la Belgique, explique l’écrivain, spécialiste de l’Amérique latine Nil Nikandrov.
« Juan Perón a pris pitié des nazis. Il considérait qu’ils étaient utiles pour son pays, pour le développement de celui-ci. Il y en a également qui sont allés aux Etats-Unis. On en avait besoin pour développer des conflits avec l’URSS. En fait la Suède y a aussi participé, poussée par des considérations « humanitaires ». Quant à la filière espagnole, le dictateur Francisco Franco n’a pas oublié sa coopération avec l’Allemagne nazie. La filière bien connue, celle du Vatican, permettait d’avoir des papiers et de partir. Il y a maintenant au maximum deux centaines de ceux qui sont encore en vie, qui ont plus de 80 ans. Ce n’est qu’aujourd’hui que certains sont extradés vers l’Allemagne pour y être jugés. C’est peut-être pour qu’ils ne puissent pas vivre tranquillement jusqu’à la fin de leurs jours parce qu’ils sont tous dans un très mauvais état ».
Les services secrets nord-américains ont directement participé au recrutement et à l’exfiltration des criminels nazis, comme en atteste un rapport du service de renseignement de l’armée américaine établi en 1950. Des agents des services secrets nazis, des spécialistes de systèmes d’armements nucléaires et de systèmes de missiles ont ainsi été exfiltrés. Plus tard ils ont continué la guerre contre l’URSS, avec l’appui des Etats-Unis les finançant. D’ailleurs on peut même aujourd’hui rencontrer en Amérique latine des personnes prénommées Hitler – c’est le prénom qui leur a été donné par leurs parents… Mais c’est déjà une autre question, celle de l’attitude des Sud-américains à l’égard de ce voisinage douteux avec les nazis
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