Les données historiques sur sa vie sont largement conjecturales voir légendaires. Elles demeurent incertaines mais le personnage semble bel et bien avoir existé ; ce qui n’empêche des sinologues et des philosophes de retenir que sa biographie a été rédigée quatre siècles après sa mort pour les besoins d’une nouvelle idéologie officielle
1. Son nom : Son nom personnel est Kong Qiu (孔丘), aussi appelé respectueusement Kongfuzi (孔夫子) ou Maître Kong. Ce sont les Jésuites et probablement Matteo Ricci qui ont latinisé son nom en Confucius au XVIièm siècle.
2. Ses Origines : La famille Kong (chinois archaïque Khong), était originaire de l’État de Song. Son arrière-grand-père était le ministre de la guerre de l’État de Song, Kong Fu Jia. Après que celui-ci fut assassiné, son fils Fang Shu, se réfugia dans l’État de Lu(un état de l’Est de la Chine correspondant à la Province actuelle du Shandong, où il mena une carrière militaire. Son fils, Shu Lianghe allait suivre ses traces et aussi faire une brillante carrière militaire. La famille Kong était une famille de grands guerriers et Confucius, fils de Shu Lianghe, fut le premier de sa lignée à abandonner la voie des armes
Son père épousa en secondes noces à l’âge de 65 ans la jeune Zheng Zai, alors âgée de 15 ans. Il mourut alors que Confucius n’avait que trois ans, laissant sa famille dans la pauvreté.
3. Sa Naissance : Confucius, est né le 28 septembre 551 avant notre ère, à Zou (陬) ville dont son père était le gouverneur, non loin de la ville de Qufu (曲阜), pays de Lu, actuelle province de Shandong.
Sa mère Zheng Zai étant allée prier sur le mont Qiū (丘), le prénomma ainsi. La légende veut que le père de KONG, ou plutôt celui qui allait le devenir, étant âgé, sa mère craignant de ne pouvoir avoir un enfant mâle, alla donc prier en secret dans un temple situé sur une colline; la nuit suivante elle vit en rêve Le Seigneur Noir (le Dieu des Eaux) qui lui dit « vous donnerez le jour à un fils, un sage; cet enfant né de l’essence de l’eau succédera à la dynastie des Tchou comme un roi sans couronne ». Le jour de son accouchement, l’air résonna d’une musique céleste, et pendant que son enfant naissait, elle entendit ces paroles : « le ciel ému de vos prières vous a donné un fils Saint ».(Quelle analogie troublante avec » l’Annonciation faite à Marie » dans le christianisme !)
D’autres légendesse sont constituées quant aux circonstances de sa naissance : D’après la légende, des événements extraordinaires auraient précédé sa naissance ; une licorne aurait en outre, prédit sa naissance. Elle vomit une tablette de jade qui prédisait la naissance d’un enfant qui soutiendrait la déclinante dynastie Zhou. Au cours de la nuit de sa naissance, deux dragons se seraient posés sur le toit de sa maison. Cinq vieillards, qui restituaient les essences des Cinq Planètes, arrivèrent dans sa cour. Des chants célestes se seraient fait entendre. Puis finalement, des voix prophétisèrent; Le Ciel favorisera la naissance d’un fils saint.
4. Son enfance : Bien qu’orphelin, il poursuit ses études et se perfectionna dans les 6 arts que la musique, l’ écriture, le calcul les rites, le tir à l’arc, la conduite des chars mais il apprend également l’histoire, la philosophie. Sa mère l’élève dans le culte des rites ancestraux et des traditions familiales. A 17 ans, il perd sa mère et doit travailler
5. Sa vie : D’abord petit employé chargé de l’administration du bétail puis des greniers, il accéda vers la quarantaine aux fonctions de préfet (Zai), et de responsable des travaux publics (Sicong) de Zhongdu, puis de responsable de la sécurité et de la justice (Sikou) de la principauté de Lu. Il aurait eu deux enfants. En même temps, il enseigna sa connaissance des textes anciens au petit groupe de disciples qui le suivait ; il aurait fonder la première école publique du monde, ouverte à tous ceux qu’il estime être dignes d’être ses élèves, quelque soit leur classe sociale. Confucius brisa ainsi le monopole exercé sur l’éducation par la classe noble
Il obtient une notoriété publique mais aussi la jalousie d’autres membres de la cour du Prince de Lu. Désabusé par ces rivalités internes et déçu par le Prince qui préférait prendre du plaisir trois jours durant avec des danseuses au lieu d’assurer sa tâche de gouvernement, Confucius décida de quitter son poste de ministre et, en -496, partit pour quatorze années d’errance, à la recherche d’un souverain capable de l’écouter. Il entreprit, en particulier, un voyage à Luoyang, capitale de la dynastie Zhou, où il aurait rencontré le philosophe taoïste Lao Zi (Lao Tseu). Cette rencontre hypothétique entre les deux grands penseurs a suscité bien des commentaires et des œuvres d’art. Ils auraient eu un long échange et au moment où Confucius allait le quitter, Lao Dan lui aurait dit : « Selon les traditions, les gens fortunés donnent des présents à leur hôte et les gens pauvres donnent des mots. N’étant pas aisé, je puis néanmoins vous donner des mots; Un homme intelligent, grand observateur, se trouvera toujours en danger de mort, car il se plaît à parler des autres. Par son vaste savoir et son solide jugement, il en vient à découvrir ce que les autres ont de plus méprisable. Être fils comme être un simple sujet dépossède du soi. ( !) » Après, Confucius resta sidéré et renonça à parler pendant trois jours ou un mois, tellement Lao Zi l’avait troublé.
Mais à 68 ans il retourne au Pays de Lu et meurt 5 ans plus tard vers – 478. Il serait enterré dans sa ville natale et, par la suite, tous ses descendants ont demandé à être enterrés à ses côtés dans ce qui est devenu Kong Lin, la forêt des Kong, un cimetière géant de 200.000 tombes dont celle de 76 générations de descendants de Confucius ; le 77 ièm descendant en ligne directe vit actuellement à Taiwan.
6. L’environnement historique Confucius vécut à la fin de la période « des Printemps et des Automnes» au moment où la société chinoise, passant de l’esclavagisme au féodalisme, connaissait des troubles et subissait de profonds changements. C’est l’époque où l’autorité des empereurs de la dynastie des Zhou ne parvient plus à remporter l’adhésion d’un peuple divisé
Il est le contemporain de Pythagore du Bouddha et de Lao Tseu
7. Son œuvre littéraire : Il est probable que Confucius, comme Jésus et Socrate n’ai jamais rien écrit de sa main et que son enseignement ait été compilé par ses disciples.
a. Les Quatre Livres : Existant déjà vers la fin de la dynastie des Qin, ces quatre ouvrages ne sont considérés que plus tard comme un ensemble relevant de la même école de pensée. Ce n’est qu’à l’époque des Song du Sud que le cékèbre savant Zhu Xi les annote pour en faire un ensemble nommé les Quatre livres servant de cours élémentaire et obligatoire du confucianisme. Ils comportent : – Les analectes de Confucius ou Entretiens: Il s’agit des entretiens du philosophe Confucius reportés par ses disciples dans un ouvrage sous la forme de compilation de paroles. – Mencius : Mencius est un ouvrage philosophique écrit par Meng Ke, un autre fondateur de l’école confucéenne. – La grande Etude – La doctrine du juste milieu : Il s’agit à l’origine de deux thèses du livre des rites annotées par la suite par Zhu Xi.
b. Les Cinq Classiques qui, selon la tradition, furent compilés par Confucius lui-même. Toutes fois il y a peu de chance qu’il les ait écrits. Ils ont été rédigés eux aussi vers le IIe siècle avant notre ère. Il s’agit de : – Le Classique des mutations : C’est un manuel de divination basé sur les huit trigrammes et attribué à l’empereur Fu Xi. À l’époque de Confucius ces huit trigrammes ont été multipliés pour obtenir soixante-quatre hexagrammes. – Le Classique des vers : Il s’agit d’un livre composé de 305 poèmes divisés en 160 chants répartis entre 74 chants festifs mineurs, chantés traditionnellement lors des festivités de cour, 31 chants festifs majeurs, chantés lors de cérémonies de cours plus solennelles, 40 hymnes et eulogies chantés lors de sacrifices aux dieux et aux esprits des ancêtres dans la maison royale. Ce livre est généralement considéré comme une compilation effectuée par Confucius. – Le Classique des documents : C’est un ensemble de documents et de discours qui auraient été écrits par les dirigeants et les officiels de la dynastie Zhou. Il contient des exemples de la prose chinoise des premières époques. – Le Livre des rites : Il s’agit d’ une restauration du livre Lǐjīng perdu au IIIe siècle avant JC qui décrit les rites anciens et les cérémonies de cour. – Les Annales des Printemps et des Automnes : C’est une description historique de l’État de Lu, d’où est natif Confucius, de -722 à -479. Il est censé avoir été écrit ou compilé par Confucius, et constitue une condamnation implicite des meurtres, incestes et autres escroqueries. Le Classique de la musique est parfois cité comme le sixième classique, mais a été perdu pendant la dynastie Han.
8. La Postérité de la pensée confucéenne :
Il faudra revenir sur les caractéristiques de la pensée originelle de Confucius qui connut bien des avatars au cours des 2 millénaires qui suivirent sa mort
a. Elle fut d’abord confrontée aux écoles de pensée concurrentes pendant la Période des Royaumes combattants qui s’étend en Chine, du Ve siècle av. J.-C. à l’unification des royaumes chinois par la dynastie Qin en 221 av. J.-C. C’est le cas de Mozi qui commencera par adhérer au confucianisme avant de s’en démarquer significativement et de créer sa propre école de pensée dont les thèses se révèleront être une remise en cause à la fois des enseignements confucianiste et taoïste
b. Elle fut violemment combattue sous le règne de Qin Shi Huang, fondateur du premier empire.
c. Elle fut imposée par l’empereur Han Wudi (-156 ~ -87) en tant que doctrine d’État et l’est restée jusqu’à la fondation de la République de Chine. Sous les Sui (586-618) et les Tang (618-907) – l’âge d’or du taoïsme puis du bouddhisme – un culte officiel est voué à Confucius, des temples sont édifiés en son nom et le «mandarinat» se perfectionne avec un système de notation qui juge les fonctionnaires d’après «quatre qualités» fondamentales et une échelle de «vingt-sept perfections».
d. Gouverneur de province, Zhu Xi (1130-1200) étudia les principes philosophiques de l’Univers, en particulier le li et le qi, deux notions qui s’apparentent respectivement à la «forme» et à la «matière» forgées par les philosophes grecs. Pour le penseur chinois, dont les idées resteront en vogue jusqu’au XXe siècle, la fin ultime de l’homme est de s’ouvrir au Bien suprême (un concept proche de celui de Platon), par l’étude des classiques ainsi que par l’observation de la société et de la nature.
e. La pensée de Confucius établie progressivement par ses disciples subit des influences diverses : Le Taoïsme et le Bouddhisme qui aboutirent à l’élaboration d’un néo confucianisme ; ce courant devient la version officielle du confucianisme sous les Yuan lorsque ses quatre livres principaux deviennent le programme de référence des examens impériaux. La philosophie occidentale engendra le développement d’un nouveau confucianisme
f. Mais, avec l’avènement de la République (1911), les jeunes intellectuels rejettent Confucius, qu’ils jugent féodal et réactionnaire; l’État restera cependant proche de la tradition confucianiste. En effet, si Mao Zedong s’attache à éliminer le confucianisme («J’ai haï Confucius dès l’âge de huit ans», écrira-t-il) au même titre que toutes les croyances et idéologies étrangères au marxisme, les grands axes du système communiste – obéissance absolue aux maîtres à penser, stricte hiérarchisation de la société, subordination du bien privé au bien public – ne sont nullement opposés aux conceptions confucianistes, et la pensée de Confucius fut, officiellement du moins, au cœur du dernier affrontement entre Mao et Lin Biao.
B. Le Confucianisme
1. Généralités :
a. Le Confucianisme avec son contemporain le Taoïsme, puis le Bouddhisme plus tard, forment les trois Doctrines ayant forgé au cours des siècles une Religion Populaire qui empruntait : au Confucianisme : le comportement quotidien. Au Taoïsme : les purifications exorcismes. Au Bouddhisme : les rituels funéraires.
b. Le Confucianisme est essentiellement une doctrine philosophique, morale et politique
c. Est-ce une religion ? – A ceux qui l’interrogent sur les Dieux, Confucius répond que la sagesse consiste à les honorer mais à s’en tenir à distance. Il ajoute que : « Celui qui ne sait pas remplir ses devoirs envers les hommes, comment saura-t-il honorer les esprits » – Il semble non pas faire preuve de scepticisme vis-à-vis de l’au-delà mais de détachement : « Celui qui ne sait pas ce qu’est la vie, comment saura-t-il ce qu’est la mort » – Si comme nous le verrons, il est attaché aux rites des anciens pour maintenir l’harmonie, il ne cherche pas de contact avec les divinités chamaniques et avoue : « Autrefois je passais des jours entiers sans manger et des nuits entières sans dormir, afin de me livrer à la méditation. J’en ai retiré peu de fruit. Il vaut mieux étudier » – Si Confucius reconnaît une utilité aux dieux, c’est d’abord de laisser croire aux humains qu’ils sont sous surveillance et qu’ils doivent donc se discipliner Confucius fut-il le premier agnostique ?
2. Les piliers de la doctrine confucéenne :
a. Une éthique sociale collective basée sur la famille Typiquement, la pensée confucianiste est marquée d’un profond anti-individualisme. La morale qui en découle, s’intéressant non pas au statut des âmes mais à la répartition des rôles dans la société, est rebelle à toute idée de nivellement égalitaire des différenciations sociales, mais affirme avec force, là où l’Occident parle d’égalité des droits, la réciprocité des devoirs. Réciprocité de l’amour paternel et de la piété filiale, de la bienveillance et de la reconnaissance, de la justice et de la loyauté, qui est inscrite dans la conscience humaine par la nature des choses. Mais, aucunement encombrée de croyances religieuses, la morale confucianiste est entièrement débarrassée de toute finalité métaphysique, pour ne s’occuper que de l’harmonie sociale, traitée comme un reflet de l’harmonie cosmique. Les lois de l’organisation et de la morale sociales sont interprétées d’ailleurs comme des lois naturelles, les mêmes que celles qui régissent l’organisation du cosmos et règlent les rapports du yin et du yang, du Ciel et de la Terre, des saisons, etc. Ce qui fait la dignité de l’homme, ce n’est pas sa personnalité individuelle, c’est sa nature d’être social. C’est donc la société qui donne son sens à l’individu et non pas l’individu à la société. L’individu n’est pas simplement conditionné par son existence en société : il ne réalise sa personnalité que dans son être social déterminé par lanature. Le mot célèbre de Confucius : “ Que le Prince agisse en Prince, le sujet en sujet, le père en père, le fils en fils ”, constitue la règle d’or de sa philosophie sociale. Elle insiste sur les relations familiales, car ce sont ces relations qui manifestent le mieux que les rapports sociaux sont commandés par des lois naturelles. Directement modelée par la nature, la famille devient à son tour le modèle de toute la société. Pour Confucius, la société est première. La famille l’emporte sur les personnes, le clan sur la famille, la société sur les clans. Qui plus est, chaque personne est conçue dans une relation de dépendance à l’autre. La société est un ensemble de subordinations structurelles à l’image de la Nature, où la Terre est totalement assujettie au Ciel. Dans cette société essentiellement hiérarchique, chacun doit reconnaître les différences, accepter les inégalités et se tenir à la place fixée par sa condition, sans chercher à en sortir. Il importe que chaque membre de la société adopte une conduite convenant à sa condition naturelle et à son rang social. Cinq relations fondamentales (wulun) sont ainsi distinguées, à l’image desquelles se déterminent toutes les autres : celles qui s’établissent entre le père et le fils, entre le prince et le sujet, entre l’époux et l’épouse, entre l’aîné et le cadet, entre collègues et amis. Chacune de ces relations interpersonnelles donne lieu, dans chaque sens, à certaines obligations spécifiques dont la parfaite exécution définit une vertu particulière. Les obligations les plus importantes sont celles du fils à l’égard du père, à travers lesquelles se définit la vertu cardinale dont procèdent toutes les autres vertus de la morale confucianiste : la piété filiale (xiao).
b. Le ritualisme :
Pour que l’ordre règne, toute la vie politique de l’empire doit être centrée sur le respect des rites, respect qui exige que chacun soit fidèle à la fois aux règles transmises par la tradition et au comportement que lui impose sa position dans la société. Ces comportements de conformité à la tradition et à l’ordre social, ce sont ces formes élaborées appelées rites (li). L’observation des rites est la garantie de la stabilité, de l’harmonie et de la paix de l’empire. Le premier responsable de cette tranquillité dans l’ordre est évidemment l’empereur : elle n’est possible que si l’empereur lui-même se plie à l’observance des rites, autrement dit s’il est fidèle à l’exigence du respect de la tradition et de la hiérarchie dans la société, s’il représente pour ses sujets un modèle qui a le sens de la rectitude et de la justice. Mais, de même qu’il n’y a qu’un Ciel au-dessus du monde, de même il ne peut y avoir qu’un seul souverain, considéré comme le Fils du Ciel, à la tête de l’État. Comme le Ciel règle sans partage tous les mécanismes cosmiques, de même l’autorité du souverain ne peut être qu’absolu.
Primitivement, les rites étaient les formes des cérémonies religieuses. Déterminés par divination, ils représentaient des comportements propres à se concilier les puissances du monde transcendant. Par la suite, tandis que le sens religieux se perdait dans une réinterprétation purement cosmologique des pouvoirs mystérieux en œuvre dans l’univers, les cérémonies étaient devenues des modèles de comportement en harmonie avec le jeu des grandes composantes de l’univers : le Ciel et la Terre, le yin (Principe masculin) et le yang ( Principe féminin), les cinq éléments (eau, feu, bois, métal et terre), la succession des saisons et du chaud et froid. Mais l’éthique confucianiste a extrapolé le principe du formalisme des cérémonies du culte pour l’appliquer à la régulation des comportements sociaux. Le ritualisme est ainsi l’art d’exploiter le rituel à des fins non plus religieuses, mais sociales. Dans l’ordre social fondé sur la famille, il n’y a que des devoirs prescrits a priori par la loi du Ciel et que les institutions précisent dans les moindres détails. Il ne reste plus dès lors qu’à induire les partenaires sociaux à se conformer entre eux, spontanément, à tout ce qui est prescrit. C’est à cette fin qu’ont été soigneusement élaborés des rituels qui définissent minutieusement, geste par geste, le cérémonial à observer pour toutes les occasions types au cours desquelles se règlent les rapports humains : mariages, funérailles, banquets, culte des ancêtres, etc. Le confucianisme fonde par suite sa philosophie politique non pas sur le juridisme, mais sur le ritualisme. Pour lui, le mécanisme essentiel de régulation de la société est le mécanisme des rites. Confucius l’indique à son prince, qui l’interroge sur les principes du gouvernement : « Dans la pratique politique, les rites passent avant tout : les rites sont en vérité l’essentiel de la politique » Il déclare encore : « Quand on fait régner le bon ordre par des règlements d’Etat sous l’astreinte des châtiments, le peuple prend garde à ne pas commettre d’infraction, mais pas parce qu’il en aurait honte. Quand on fait régner le bon ordre par la vertu, sous l’astreinte des rites, c’est par le sentiment de honte que l’on se corrige » Les rites sont par conséquent un mécanisme d’astreinte à la vertu, qui est ici opposé au mécanisme des sanctions pénales conçues, elles, pour contraindre à respecter des règlements d’État. Ce qui oppose ces deux mécanismes, c’est que l’un, celui des châtiments, est mis en œuvre par une contrainte exercée par la puissance publique, tandis que l’autre n’a pas besoin de cette contrainte parce qu’il joue beaucoup plus subtilement sur le sentiment de la honte.
Certes l’application de ces rites peuvent aboutir à une société corsetée mais Confucius reconnaît que « les hommes sont tous semblables par leur nature profonde ; ils diffèrent par leur us et coutumes ». Il désire même instaurer une promotion par le mérite au lieu d’une hérédité du pouvoir et cela l’amène à une parole révolutionnaire : « Si vous refusez d’instruire un homme qui a des dispositions requises, vous perdez un homme » Ce qui fera dire de lui qu’il est l’éducateur de la Chine !
c. Le pivot de sa doctrine : le King Il faut respecter et s’incliner devant la hiérarchie du cosmos. Il ne sert à rien de combattre la nature. Ainsi plutôt que de prier pour la pluie, il est plus sage d’accumuler des réserves d’eau. Il reconnaît que cette hiérarchie naturelle est la meilleure garante de l’harmonie sociale et humaine Confucius respecte bien le Dao taoïste comme principe cosmologique régissant la nature mais en fait non pas la base du salut individuel mais le socle de l’organisation sociale
d. Le modèle confucéen de la société civile La philosophie politique confucianiste est porteuse d’une forte aspiration au non-interventionisme de l’Etat. Elle vise en fait un idéal de non-agir, fondé sur la foi en la nature morale de tout être. Celle-ci doit être restaurée par une discipline de rectification des déviations égocentriques de l’affectivité individuelle, discipline appuyée précisément sur les rites ; mais une fois qu’elle est restaurée, il n’y a plus qu’à la laisser se déployer, sans nécessité d’autres interventions Cet idéal de non-agir a marqué les institutions chinoises d’un esprit qui trahit une conception fortement réductionniste de l’Etat, tendant à restreindre le plus possible les interventions des pouvoirs publics dans la vie sociale. La philosophie politique confucianiste a toujours fait de l’appareil d’Etat un appareil conçu pour affecter le moins possible la vie sociale, pour fonctionner à part de la société, quoiqu’en y puisant bien évidemment ses ressources. Autrement dit, l’Etat en Chine n’a jamais été considéré comme pouvant avoir des liens organiques avec la société civile : l’Etat avec son appareil existe d’un côté, et la société civile avec ses propres structures existe de l’autre. En disjoignant l’Etat de la société, la philosophie politique chinoise fait des membres de la société civile non pas des citoyens, mais de pures personnes sociales, et de l’Etat un appareil purement administratif. C’est en ce sens que l’Etat chinois se réduit à une bureaucratie pure et simple. La tendance induite par cette tradition de gouvernement administratif et non politique est celle d’une faible politisation de la société et celle d’une forte propension à gouverner administrativement plutôt que politiquement. Il n’existe donc pas de concept d’opposition politique comme en Occident, et il ne peut y avoir de moyen terme : soit on accepte totalement le gouvernant, soit on le rejette absolument. L’homme vertueux qui désapprouve la politique de son souverain a donc fort peu de choix : il peut adresser un placet au monarque, risquant de la sorte presque inévitablement la colère royale ; il peut enregistrer par écrit ses objections et se laver du péché de déloyauté par le suicide ; il peut se retirer de la société qu’il rejette et vivre la vie d’un ermite solitaire, ou il peut prendre le maquis (ou le bord de l’eau) et espérer, en galvanisant la colère du peuple, renverser la dynastie pour la supplanter.
e. L’insistance sur la notion de devoir : Dans la pensée confucianiste, le concept de devoir, tient une place essentielle, alors que la notion de droit n’est même pas conceptualisée. Et c’est la charge de devoirs que porte, dans les deux sens, toute relation interpersonnelle, qui crée la tension par laquelle les deux termes de la relation sont rendus fortement solidaires l’un de l’autre. Il y a dix devoirs fondamentaux : la bienveillance affectueuse du père, la piété filiale du fils, la bonté de l’aîné, la soumission du cadet, la droiture de l’époux, l’obéissance de l’épouse, la mansuétude de ceux qui ont l’autorité de l’âge, l’obligeance des jeunes, l’humanité du prince, la loyauté du sujet. Mettre l’accent sur les devoirs, c’est considérer la société sous son aspect hiérarchisé, alors que le juridisme, qui met l’accent sur les droits, fait abstraction des hiérarchies sociales pour partir de l’égalité théorique de tous les individus. Ce n’est pas que le ritualisme se désintéresse de la justice ; c’est qu’il recherche celle-ci non pas à partir de l’idée d’une égalité de principe de tous les individus, mais à partir d’une analyse des différences de positions sociales qui sont bien fondées, qu’il intègre dans des modèles de structures communautaires tels que les inégalités dues à ces différences soient compensées par un juste calcul des devoirs réciproques imposés par les positions sociales. Le modèle par excellence de l’intégration communautaire est la famille, dont tous les membres reconnaissent spontanément le bien-fondé des inégalités marquant les rapports qu’ils ont entre eux, parce que ces inégalités sont compensées par le sentiment naturel des devoirs que l’on a vis-à-vis de son père et de sa mère, de son époux ou de son épouse, de ses enfants, de ses frères aînés et de ses frères cadets. L’idéalisation confucianiste du modèle de structuration sociale que représente la famille a conduit à concevoir la société comme un ensemble de structures intégrées composées d’abord de communautés familiales proprement dites, puis développées en communautés d’une autre nature mais où les relations interpersonnelles sont néanmoins calquées sur celles dont la famille donne l’exemple. Tel est l’esprit de ce qu’on peut appeler le communautarisme chinois, qui transfère dans tous les rapports sociaux les devoirs réciproques du père et du fils, de l’aîné et du cadet, de l’oncle et du neveu, etc. La société communautariste est une société très compacte, où les relations sont d’une texture à la fois serrée et fortement tendue par le sens du devoir exacerbé par la pression sociale. Le côté positif du communautarisme est de développer puissamment les solidarités et d’empêcher les conflits ; d’où la profonde résistance de la société chinoise à l’émergence de la conscience de classe. Le côté négatif est bien sûr le risque d’étouffement des individualités.
f. Même si le confucianisme apparaît d’abord comme une doctrine sociale, il s’agit aussi d’une philosophie humaniste – Un apport très important et révolutionnaire en quelque sorte de Confucius est à chercher dans la notion de Junzi ou gentilhomme qui, avant lui, dénotait une noblesse de sang et dont il a modifié le sens pour le transformer en noblesse de coeur, un peu comme le mot anglais, gentleman. Pour Confucius, est gentilhomme, celui qui sait se maîtriser et revenir aux rite de la courtoisie qui allie déférence, grandeur d’âme, sincérité,, diligence et générosité. – Il se déclare lui-même, être « celui qui aime les hommes » et il édicte dans ses Entretiens la règle d’or reprise par bien d’autres spiritualités : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais qu’on te fasse à toi-même » – la lecture attentive des Entretiens montre qu’il n’a pas voulu s’ériger en maître à penser, et qu’au contraire il voulait développer chez ses disciples l’esprit critique et la réflexion personnelle : « Je lève un coin du voile, et si l’étudiant ne peut découvrir les trois autres, tant pis pour lui »
C. QUELQUES CITATIONS
« Je n’ai pas encore vu un homme qui soit inflexible sur ses principes. » Confucius ; Livre des sentences – VIe s. av. J.-C.
« Une impatience capricieuse ruine les plus grands projets. » Confucius ; Les entretiens – VIe s. av. J.-C.
« L’arrogance est pire que l’avarice. » Confucius ; Les entretiens – VIe s. av. J.-C.
« Apprends à bien vivre, tu sauras bien mourir. » Confucius ; Les entretiens – VIe s. av. J.-C.
« Tous les hommes ne peuvent pas être grands, tous peuvent être bons. » Confucius ; Les entretiens – VIe s. av. J.-C.
« Occupe-toi du soin de prévenir les crimes, pour diminuer le soin de les punir. » Confucius ; Les entretiens – VIe s. av. J.-C.
« Qui sait obéir saura ensuite commander ». Confucius ; Les entretiens – VIe s. av. J.-C.
« Soyez sévères envers vous-mêmes et indulgents envers les autres. » Confucius ; Les entretiens – VIe s. av. J.-C.
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