RELIGION et SCIENCES

ParJacques BONNAUD

RELIGION et SCIENCES

La religion, une menace pour la science et la raison ?

« Croire en Dieu, cela revient souvent à vouloir expliquer quelque chose qu’on ne comprend pas par quelque chose qu’on comprend encore moins bien : Dieu »  André Comte-Sponville
« La loi du Livre unique…. conduit à écarter le recours et le secours de livres non religieux … comme les ouvrages scientifiques »
Michel Onfray

1. Des faits

– Au V ièm siècle, la mathématicienne et philosophe Hypatie est assassinée, lapidée par des moines chrétiens sur ordre de saint Cyrille, évêque d’Alexandrie. Il parait bien surprenant qu’un tel homme, canonisé par l’Eglise et encensé par Benoît XVI pour sa contribution au culte marial( !), ait cautionné le lynchage d’une femme philosophe que tous les contemporains semblent avoir trouvée remarquable tant par sa science que par sa pédagogie… et même sa vertu?
                         C’est la totale ! On condamne une femme ( !), vierge ( !), scientifique, philosophe, enseignante de haut niveau ( !)

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– En 529, Justinien, empereur byzantin, persuadé d’être l’élu de Dieu, ferme l’Académie d’Athènes contraignant ainsi les derniers philosophes à l’exil et privant l’occident chrétien de testes essentiels qu’on ne retrouvera qu’au XIII ièm siècle grâce aux Arabes d’Espagne.

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–   Au VIII ièm siècle, le Pape Zacharie excommuniait ceux qui, comme l’évêque Virgile, soutenait l’existence de terres et de population aux antipodes.

– Nicolas d’Autrecourt fut condamné en 1340 à abjurer et à brûler ses écrits qui proposaient une théorie corpusculaire très moderne de la lumière. Cette théorie atomiste allait en particulier à l’encontre du dogme de la transsubstantiation 

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– Giordano Bruno, dominicain par ailleurs, après un procès de 8 ans, fut brûlé en 1600 sous différents motifs : Son rejet de la transsubstantiation et de la Trinité, son blasphème contre le Christ, sa négation de la virginité de Marie, sa pratique de l’art divinatoire, sa croyance en la métempsycose. Mais c’est sa vision cosmologique qui va le conduire au bûcher, lui, adepte de l’atomisme, qui développe la théorie de l’héliocentrisme et montre, de manière philosophique, la pertinence d’un univers infini, qui n’a pas de centre, peuplé d’une quantité innombrable de soleils et de mondes identiques au nôtre.

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– Galilée est le représentant emblématique de l’opposition de l’Eglise à la science. En 1616 un décret du Saint-office condamnait sa théorie héliocentrique qui « est stupide et absurde, et fausse en philosophie, et formellement hérétique, car elle contredit explicitement, et en de nombreux paragraphes, les sentences de l’Ecriture Sainte, lue selon le sens propre des mots et l’interprétation commune des saints Pères et des théologiens » Le verdict fut prononcé le 16 juin 1633 et sera sans appel « ledit Galilée … sera appelé à abjurer … condamné à la réclusion…, et sommé de ne plus discuter de ses théories sous peines de sanctions infligées aux relaps. Son oeuvre, comme celle de Copernic sera mise à l’Index.[… La sentence sera envoyée à tous les membres du clergé et sera lue en présence du plus grand nombre de ceux qui professent l’art des mathématiques ».  »
  Et pourtant….elle tourne !
Il a fallu attendre 350 ans après la mort du savant pour que Jean Paul II fasse réexaminer le cas de Galilée par une commission et alors il ne rejeta la faute que sur « une majorité de théologiens » sans citer ses prédécesseurs ni la Sacra Congragatio Sanctissimae Inquisitionis.

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–  Lamarck d’abord, Darwin ensuite, publièrent leurs découvertes qui avançaient pour le premier que les espèces se transforment et pour le second qu’elle évoluent en vertu de la sélection naturelle. Ses théories furent sujettes à de grandes controverses au sein de l’Eglise mais elles ne furent jamais formellement condamnées. Toutes fois cela n’empêcha pas des fondamentalistes chrétiens d’entamer, en 1925,  le « procès de singe » qui  a vu la condamnation de John Thomas Scopes, professeur de l’école publique de Dayton soutenu par l’Union américaine pour les libertés civiles au versement d’une amende de cent dollars pour avoir enseigné la théorie de l’évolution à ses élèves en dépit d’une loi de l’État du Tennessee, « le Butler Act », interdisant aux enseignants de nier « l’histoire de la création divine de l’homme, telle qu’elle est enseignée dans la Bible ». Il s’avère  fondamentale aux yeux des créationnistes d’empêcher à tout prix la diffusion des idées évolutionnistes.
                                                Insupportable blessure narcissique que de penser qu’on puisse descendre du singe !
Le premier réflexe a été de nier la théorie de l’évolution ; ainsi les évêques allemands dans le seconde partie du 19 ièm siècle la déclarèrent « absolument contraire à la foi… honteuse ». Certains souhaitèrent faire taire cette éclairage ; ainsi l’épouse d’un chanoine anglican de la cathédrale de Worcester s’écria, scandalisée et troublée : « Descendre du singe !Mon Dieu, j’espère que ce n’est pas vrai…Mais si cela l’était, prions pour que ce ne soit pas connu de tous »  L’Eglise et les Papes se sont longtemps arqueboutés sur le principe du monogénisme, c’est-à-dire du maintien que l’âme humaine est une création immédiate de Dieu et qu’un couple unique est à l’origine de l’ensemble du genre humain. En 1950, dans l’Encyclique « Humani Generis », le Pape Pie XII condamnait le polygénisme et allait jusqu’à interdire «  aux fils de l’Eglise » de poursuivre leurs recherches sur ce sujet !
 

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Aujourd’hui, la théorie de l’évolution, bien qu’il existe des débats sur ses mécanismes, est admise par toute la communauté scientifique si bien que le biologiste Pierre Paul Grassé a pu écrire : « L’évolution n’est plus une hypothèse mais un fait scientifique ». Pourtant, en 1985, le cardinal Ratzinger considérait encore la théorie de l’évolution comme une hypothèse : « Dans une hypothèse évolutionniste du monde, il n’y a évidemment aucune place pour aucun péché originel….Accepter cette vision revient à renverser la perspective du Christianisme : Le Christ est transféré du passé au futur. Rédemption signifie alors simplement cheminement vers l’avenir, en tant qu’évolution nécessaire vers le mieux ». Il reprenait en fait la critique déjà contenue dans l’encyclique « Humani Generis » qui affirmait : « On ne voit aucune façon d’accorder pareille doctrine avec ce qu’enseignent les sources de la vérité révélée et ce que proposent les actes du magistère ecclésiastique sur le péché originel »  A peine onze ans plus tard, cela n’empêchait pas le Pape Jean Paul II de déclarer : « De nouvelles connaissances conduisent à reconnaître dans la théorie de l’évolution plus qu’une hypothèse »  

–  Médecine et religion n’ont pas toujours fait bon ménage :
L’interdiction formelle pendant mille ans de disséquer, édictée aussi bien dans les pays chrétiens que dans ceux d’obédience coranique, rendit impossible tout progrès de l’anatomie.
Les critères de la vie et de la mort sont toujours sujets à d’âpres discussions.
Le refus de certains fondamentalistes islamiques de voir leur femme traiter par des médecins hommes.
La conception, trop longtemps admise, de la souffrance comme rédemption et de la maladie comme sanction divine. Elle parait, de nos jours, toujours sous-jacente ; si non comment expliquer les propos de Monseigneur Léonard, archevêque de Malines-Buxelles : « Je ne vois donc pas dans cette épidémie du SIDA une punition, plutôt une sorte de justice immanente, un peu comme au plan écologique on peut se représenter que nous recevrons une facture pour ce que nous faisons au milieu naturel. Peut-être que l’amour humain se venge lorsqu’il est maltraité, sans pour cela qu’une source transcendante vienne s’immiscer au milieu de tout ça »
  Mais si ! Monseigneur Léonard, que j’ai rencontré à Madrid lors des JMJ est un personnage charismatique, très bon imitateur, et il continue à divulguer le message du Christ et donc à prêcher l’amour !
–  On pourrait sans doute donner d’autres exemples. En particulier les fortes critiques de l’Eglise romaine quant aux recherches en génie génétique, en contraception hormonale, en technique de prévention qui ont souvent d’importantes connotations morales et sociologiques.

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– Cette attitude de l’Eglise face à la modernité de la science et de la raison, fit régner, en particulier après l’affaire Galilée, une atmosphère de crainte chez les intellectuels au point que Descartes reporta la publication à une date indéterminée la publication de son étude intitulée Traité du monde et de la lumière qui ne parut que quatorze ans après sa mort.
Cela aboutit à un pseudo exode silencieux des intellectuels hors de l’Eglise et il ne se développa plus, dans les pays catholiques  pendant plus de cent ans, de relève scientifique.

A l’intérieur de l’Eglise, il me semble bien vivre l’expérience personnelle du rejet de la raison. Non seulement l’écoute de bien des homélies me hérisse le poil quand j’entends des exhortations à mettre de côté l’intelligence !, mais je me sens rejeté en tant qu’être doué de raison quand lors d’une invitation du mouvement « Le renouveau charismatique » je me suis vu proposé un temps de louange en « langue des Anges » !, ou quand un jeune prêtre de mon diocèse tente d’expliquer la catastrophe d’Haïti par le péché originel !, ou quand le curé de ma paroisse me déclare que le préservatif est une abomination car il a en sa possession, sur son bureau, les preuves que le condom a été sciemment conçu pour stopper le spermatozoïde mais pas le virus du SIDA !

2. Des Tentatives d’explications

On ne peut qu’être surpris et interloqué par cette constance à se tromper, à nier des vérités scientifiques, à condamner non seulement des théories mais aussi des personnes. Des croyants, des fidèles scientifiques, des ecclésiastiques ont souvent eu des réactions de bon sens. Ainsi Monseigneur d’Hulst, recteur de l’Institut catholique de Paris qui déclarait devant l’hostilité de l’Eglise à l’évolution : « Pourquoi inutilement engager la parole de Dieu dans une hypothèse contraire ? » On retrouve cette interrogation dans la revue catholique La Chronique sociale : « Pourquoi l’Eglise se met-elle dans l’obligation de devoir admettre un jour ce qu’elle a commencé par déclarer impossible ? »
Il me faut bien remarquer que l’Eglise s’est comporté, très souvent, comme une institution s’illustrant moins par ses efforts spirituels, ses réalisations empiriques ou ses compétences culturelles que par sa résistance à toute nouveauté.
Selon Hans Küng « l’adage latin souvent cité au Vatican :Pensiamo in secoli (Nous pensons en siècles) trahit autant une conscience de soi orgueilleuse que la propension récurrente à arriver en retard »

a. « L’arbre de la connaissance »        arbre-connaissance

Pour certains athées, cet interdit de l’arbre de la connaissance est un interdit de l’intelligence. Ils prennent appui, pour leur interprétation, sur le verset III, 6 de la Darty Bible ou de la Martin Bible : « Et la femme vit que l’arbre était bon à manger, et qu’il était un plaisir pour les yeux, et que l’arbre était désirable pour rendre intelligent; et elle prit de son fruit et en mangea; et elle en donna aussi à son mari pour qu’il en mangeât avec elle, et il en mangea » ou  « La femme donc voyant que le fruit de l’arbre était bon à manger, et qu’il était agréable à la vue, et que cet arbre était désirable pour donner de la science, en prit du fruit, et en mangea, et elle en donna aussi à son mari qui était avec elle, et il en mangea. » Ils en viennent à rejeter un Dieu pervers qui réserve à l’homme l’imbécillité et la mortalité.
J’ai longuement lu et étudié les exégètes de ce passage de la Genèse qui combattent cette interprétation, comme le Père Mallard, le Père Varillon « La perfection du premier homme, c’est qu’il n’est pas comme les autres êtres de la nature, animaux ou végétaux mais qu’il est appelé par Dieu, dès l’origine, à une fin proprement divine: appel à entrer dans l’amour de Dieu… La perfection d’Adam n’est pas un état de perfection mais le commencement d’une histoire de perfection », le Père Théodule Rey-Mermet : « Non l’humanité n’est pas né dans un paradis terrestre. Ce ciel de félicité et de divine amitié décrit dans Genèse 3, c’est la maquette de la création. Il n’est pas passé mais à venir. C’est le dessin de Dieu pour la fin des temps. Il est placé en tête de la Bible parce qu’on commence toujours par établir la maquette. Mais l’humanité n’a pas commencé par des êtres parfaits puis déchus mais par d’humbles ébauches amoureusement perfectionnées par Dieu selon les lois d’un long développement », le Père Pierre Theilhard de Chardin « Plus nous ressuscitons scientifiquement le passé, moins nous trouvons de place ni pour Adam, ni pour le paradis terrestre », Luther (un peu délirant) »L’homme devait manger et boire et les aliments devaient se transformer dans son corps mais d’une façon qui n’était pas repoussante comme elle l’est à présent. Cette arbre de vie nous eût conservé une jeunesse perpétuelle…Avant le péché, Adam avait les yeux plus perçants, l’odorat plus délicat… L’amour d’un sexe pour l’autre eût été sans mélange et pur.. Les mères eussent enfanté sans douleur et l’on n’eût pas eu tant de tracas à élever les enfants » , Saint Théophile et Saint Irénée « Les êtres créés, en tant qu’ils ne sont pas incréés, sont au-dessous de la perfection. Car, en tant qu’ils sont nouvellement produits, ils sont des petits enfants, et, en tant que tels, ils ne sont ni accoutumés ni exercés à la conduite parfaite….Dieu pouvait donner dès le commencement la perfection à l’homme, mais l’homme était incapable de la recevoir, car il n’était qu’un petit enfant ».
Je pense que ce passage est d’interprétation difficile, mais que pris littéralement, non seulement il débouche sur la notion de péché originel héréditaire qui me choque, mais aussi qu’il explique en partie l’acharnement dont l’Eglise a fait longtemps preuve vis-à-vis des progrès scientifiques.

b. Le fidéisme
Cette doctrine, bien que rejetée par l’Eglise, est toujours présente dans certains milieux ; elle attribue à la révélation un pouvoir d’accès à la vérité que la raison ne posséderait pas. Ainsi Blaise Pascal affirmait : « C’est le cœur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce que c’est que la foi, Dieu sensible au cœur non à la raison ».

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C’est Saint Augustin qui disait : « Je crois parce que c’est absurde ». 

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Martin Luther qui disait : «La raison, c’est la plus grande putain du diable … qu’on devrait fouler aux pieds et détruire, elle et sa sagesse. Jette-lui de l’ordure au visage pour la rendre laide. Elle est et doit être noyée dans le baptême. Elle mériterait, l’abominable, qu’on la relègue dans le plus dégoûtant lieu de la maison, aux cabinets»

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Mais alors, si la foi excède la raison, comment savoir ce que l’on croit ? L’absurde serait-il Dieu ? Ce n’est pas pour rien qu’on peut lire dans la première lettre de Pierre : «Au contraire, sanctifiez dans vos cœurs le Seigneur Christ, toujours prêts à la défense contre quiconque vous demande raison de l’espérance qui est en vous».

cLa peur devant le mystère

Devant le mystère de la vie, devant le mystère de la mort, devant le mystère de l’univers, il m’arrive, comme tout un chacun, de frissonner et même de ressentir de l’angoisse. Et bien, longtemps les religions ont voulu apporter des réponses à ces interrogations : Mais personne, aujourd’hui, n’expliquerait les marées, les éclipses par la volonté divine. Et pourtant j’ai encore entendu, tout récemment, des prêtres expliquer que l’origine de la catastrophe sismique d’Haïti se trouvait dans le péché originel ou que la coupe dont parle Jésus en Saint Marc 10, 35-45 était en partie remplie par les catastrophes naturelles.

L’Eglise a tendance lorsqu’on lui parle des progrès scientifiques à sortir immédiatement son argument favori : l’accusation du scientisme ! Il s’agit bien d’une idéologie apparue au XIX ièm siècle selon laquelle la science expérimentale est le seul mode de connaissance valable ; dans cette perspective, il n’existe pas de vérités philosophiques, religieuses ou morales supérieures aux théories scientifiques. Seul compte ce qui est scientifiquement démontré. Cette théorie prend ses racines dans le rationalisme de Descartes, dans le positivisme d’Auguste Comte, dans les pensées de Saint Simon. Cette religion de la science apparaît de plus en plus douteux ; l’écologie politique lui a apporté un sens péjoratif. Comme le dit Jean Fourastié, l’économiste des trente glorieuses on peut souligner : «  La Science nous apprend à peu près comment nous sommes là ; elle ne nous apprend ni pourquoi nous sommes, ni où nous allons, ni quels buts nous devons donner à nos vies et à nos sociétés ».  Et de nos jours, elle parait bien abandonné par les scientifiques eux-mêmes, ce qui n’empêche pas le Pape Jean Paul II d’y revenir dans son Encyclique Fides et ratio : « Les succès indéniables de la recherche scientifique et de la technologie contemporaines ont contribué à répandre la mentalité scientiste, qui semble ne plus avoir de limites, étant donné la manière dont elle a pénétré les différentes cultures et les changements radicaux qu’elle y a apportés »

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Je pense que dans le domaine du comment le progrès scientifique semble bien faire reculer la religion, au moins ponctuellement et que cette dernière devrait le reconnaître simplement

d. Une question d’autorité et de pouvoir

La révolution moderne des XVII et XVIII ièm siècles a entraîné un changement radical de paradigme : Dans le paradigme médiéval la plus haute autorité était le Pape mais dans la paradigme de la modernité c’est la raison humaine qui a pris le dessus. Le Vatican et la Curie ont du mal à l’admettre et n’en tirent que peu de conséquences pratiques.

e. C’est la question du rapport de la Foi et de la Raison qui affleure ici.

La théologie, en particulier médiévale, se heurte au fait que Dieu n’est pas entièrement compréhensible par la raison humaine ; qu’il est au-delà de la raison et qu’il ne peut être atteint que par la Foi. Mais en même temps, elle doit reconnaître que la raison humaine, étant un don de Dieu et un de ses dons les plus précieux, ne peut être frappée d’une incompétence radicale au sujet de ce même Dieu.

Le mot d’ordre de Saint Anselme : « La Foi à la recherche de son élucidation intellectuelle » et la recherche opiniâtre de Saint Thomas d’Aquin de voies, d’arguments et même de preuves de l’existence de Dieu montrent à quel point ce mouvement de réconciliation de la Foi et de la Raison apparaît indispensable à certains théologiens sous réserve d’aller de Dieu vers la raison alors que la métaphysique a tendance au même mouvement mais dans le sens inverse, de la Raison à Dieu.

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f. Un balayage historique des deux derniers siècles me parait instructif sur les rapports de l’Eglise catholique et de l’intelligence.

Face à l’irruption progressive de l’instance rationnelle, l’Eglise n’a pas su ou pu trouver un véritable statut intellectuel. Ainsi certains penseurs ont pu en déduire la fin du christianisme et Auguste Comte a pu ériger une prétendue loi des trois états selon laquelle l’esprit humain est appeler à progresser de l’âge religieux à l’âge métaphysique et de celui-ci à l’âge positif et industriel ou les savants sont au pouvoir.
On peut se demander, en ce début du XXI ièm siècle, si la prophétie d’Auguste Comte n’est pas en train de se réaliser !
Durant cette période, les tentatives de dialogue de la foi avec les intellectuels ont été stériles ou peu fécondes ou menées en marge de l’institution ecclésiale et sans portées de véritables fruits. Toues fois il faut reconnaître que de nombreuses œuvres ont été élaborées :

– On pense bien sûr à Theilhard de Chardin

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Ce dernier a tenté de réconcilier théologie, philosophie et science. Sans revenir ici sur l’ensemble de ses conceptions, il faut reconnaître qu’elles posaient problème à la théologie classique, d’une part par rapport au dogme de la Genèse et d’autre part au fait que la théorie de l’évolution  amenait à concevoir l’élimination systématique, à chaque génération, des individus en surnombre pour les ressources existantes. La cruauté de la nature pouvait apparaître faire partie alors du plan divin. Au lieu de débattre de ce problème, le Vatican demanda à Theilhard de suspendre ses travaux et en 1962 le Saint Siège publie ce texte : « Certaines œuvres du P. Pierre Teilhard de Chardin, même des œuvres posthumes, sont publiées et rencontrent une faveur qui n’est pas négligeable. Indépendamment du jugement porté sur ce qui relève des sciences positives, en matières de philosophie et de théologie, il apparaît clairement que les œuvres ci-dessus rappelées fourmillent de telles ambiguïtés et même d’erreurs si graves qu’elles offensent la doctrine catholique. Aussi les EEm. et RRv Pères de la Sacrée Congrégation du Saint-office exhortent tous les Ordinaires et Supérieurs d’Instituts religieux, les Recteurs de Séminaires et les Présidents d’Université à défendre les esprits, particulièrement ceux des jeunes, contre les dangers des ouvrages du P. Teilhard de Chardin et de ses disciples »
Une nouvelle fois, on ne peut que constater que l’Eglise, forte d’avoir réussi au cours de son histoire à combattre les « hérésies » et certaine de sa vocation à l’universalité de sa vérité, a préféré l’interdiction au débat. Là encore, elle n’y a réussi que temporairement car les idées émises par Theilhard réapparaissent en force, en particulier dans le continent nord-américain.

– On pense aussi au Père Henri de Lubac, si attaché à un humanisme chrétien ouvert au monde. Il fut interdit d’enseignement par le général des jésuites, et ses livres furent retirés des écoles et instituts de formation ; ce qui ne l’empêcha pas de devenir expert au Concile Vatican II. Dans une pensée proche, on peut évoquer de puissants intellectuels du clergé comme le futur Cardinal Daniélou qui fut lui aussi aux prises avec la hiérarchie de sa communauté jésuite ; le Père dominicain Yves Congar, qui vécut des années sombres et le Père lui aussi dominicain Marie-Dominique Chenu dont les livres furent mis deux fois à l’index.
Tous, après biens des condamnations, ont été des moteurs dans l’élaboration de Vatican II. Depuis j’ai la sensation d’un temps de glaciation !

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– Je souhaite évoquer plus longuement le Père François Varillon qui m’a marqué et parfois bouleversé. Le paragraphe sur le thème de l’obéissance dans son livre « Le message de Jésus. Vivre le Christianisme II » m’a paru émouvant et contenir en filigrane une souffrance certaine. Il reprend une parole de Blondel : « L’obéissance, c’est le péage de la béatitude » Il avoue que « obéir au souverain pontife, obéir à la hiérarchie quand on a vraiment le sentiment d’être dans le vrai est très difficile….Vous avez devant vous quelqu’un qui en a vraiment bavé avec des prêtres ouvriers…. L’obéissance est la mort la plus profonde à soi-même….Mais on n’a jamais le devoir d’écrire contre sa pensée, c’est un péché grave que d’écrire le contraire de ce qu’on pense…Si on ne conteste jamais rien, on restera, comme le dit Claudel, toujours dans la même confiture…   »Il rappelle un grand principe « à savoir que nos décisions doivent toujours être prises au confluent, au point de rencontre de deux lumières, une lumière qui descend de l’Evangile et une lumière qui monte de la situation… Si vous vous contentez de la lumière qui descend de l’Evangile, vous ferez des enfants de chœur et, cela, il ne le faut pas. Si vous vous contentez de la lumière qui monte de la situation et bien si la situation vous conseille de fusiller deux mille personnes, vous les fusillerez. » Il s’appuie sur un second principe tiré de Saint Thomas d’Aquin : « L’obéissance à la conscience est un absolu ». Il ose reprendre l’accusation de Léon Bonald : « Il y a deux endroits ou les hommes peuvent être rassemblés sans danger, la caserne et l’église, parce que là ils n’ont pas la parole »Il souligne que « l’objection de conscience peut être un devoir ….qu’il faut s’informer et peser ou est le bien commun….qu’il ne faut pas que celui qui obéit se fasse complice d’un abus de pouvoir»Il reprend les lignes du Père Karl Rahner : « L’obéissance n’est pas un refuge pour être déchargé de sa responsabilité ». Mais il conclut en citant toujours Karl Rahner: «Admettre une Eglise qui n’est pas toute faite, est un rassemblement d’amour, c’est légitimer l’engagement d’accepter les conséquences incalculables qu’entraîne la décision d’en faire partie. Refuser un tel risque, c’est dénier à la vie humaine le pouvoir de se mettre sous une loi qui la dépasse. Or celui qui ne sait pas se donner de la sorte reste enfoncer dans son moi, dans l’angoisse de l’homme qui cherche à préserver son existence et c’est le meilleur moyen pour lui de se perdre. Mais celui qui prend un tel risque fait ce qu’a fait le Christ dans son obéissance et c’est la mort » Après avoir rappelé qu’il a « souffert » , il semble avouer  qu’à titre personnel « le souci de l’unité demande le plus souvent qu’on évite la scission… »
Je ne peux que souligner la souffrance de cet homme, son humilité, son souci du bien commun, son analyse de l’engagement, ses tiraillements que, comme bien d’autres, je ressent au sein de mon Eglise.

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– Il faut évoquer bien d’autres intellectuels qui ont réalisé tant d’efforts pour faire dialoguer Foi et Raison :
René Girard qui relit les Evangiles à l’aide de sa théorie du bouc émissaire.
Marcel Gauchet qui dans son livre « Le désenchantement du monde » démontre combien le Christianisme a joué un rôle décisif dans la modernité.
Jacques Maritain, défenseur d’une philosophie chrétienne fondée sur l’expérience et la raison, indépendante de la foi, mais en accord parfait avec la Révélation.
Gabriel Marcel et son existentialisme chrétien.

Mais je ne peux m’empêcher de penser que tous ces louables efforts, bien qu’ils aient  aboutis au Concile, se sont stérilisés et que depuis le Pape Jena Paul II et sans doute avant lui Paul VI, les choses se sont figées.

g. La crainte d’une remise en cause des dogmes.

A propos de la théorie évolutionniste, Teilhard de Chardin, dés 1920, soulignait : « Ce ne sont pas seulement quelques découvertes paléontologiques qui obligent l’Eglise à modifier sans tarder ses idées sur les apparences historiques des espèces humaines. C’est toute la physionomie nouvelle de l’univers qui introduit, au cœur même du dogme, un déséquilibre intrinsèque » C’est bien ce que le Cardinal Ratzinger avait compris et ce qui l’avait pousser à ne pas reconnaître le caractère véridique de la cette théorie.

Pour conclure ce chapitre, je reprendrai l’avis de René d’Ouince, ancien directeur de la revue Etudes, selon lequel, le péché de l’Eglise au XX ièm siècle est le « péché contre l’intelligence ». J’ai déjà pu exprimer mon étonnement que, devant les progrès de la science et de la technique, l’Eglise n’ait qu’un discours de condamnations souvent tardifs ; l’Eglise, pourtant riche en son sein d’intellectuels pointus, n’anticipe pas les questionnements et ne fasse entendre qu’un discours négatif.

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