1. Définition étymologique et que peut-on en déduire ?
a. La religion, c’est se relier
Depuis Lactance et Tertullien, certains pensent que le latin « religio » d’où vient le mot religion, dérive du verbe « religare » qui signifiait « se relier ». La religion serait ce qui relie. Cette liaison se veut horizontale; c’est-à-dire faire communauté avec les autres, en particulier avec les autres croyants. Elle débouche donc sur la notion d’Eglise, de Peuple élu ou de l’Umma, de collectivité Cette liaison se veut aussi et en même temps, verticale dans une relation individuelle et collective avec Dieu ; en cela elle renforce la communauté par l’intermédiaire de pratiques, de rites, de dogmes Les membres de cette communauté se caractérisent par le partage de leur foi, de leur croyance qui sont deux termes, avec celui d’église, qu’il faudra expliciter. Cette relation est marquée par la communion des consciences et l’obéissance à des règles. Cette communion renforce à l’évidence le lien social. En tant que « partage sans division » comme la définit joliment André Comte Sponville, la communion est indispensable à toute société. S’agissant de biens matériels, ce partage sans division est paradoxal et même impossible : Si on partage un gâteau, la part de chacun sera d’autant plus réduite que le nombre d’amis sera grand. Si on partage le budget d’un état, la part octroyé à l’éducation sera réduite si la dotation aux dépenses militaires s’accroît. Et pourtant lors du partage du gâteau entre amis, le plaisir et la joie seront plus grands après le partage ; c’est la communion des esprits car seul l’esprit sait partager sans diviser. Et pourtant, dans un état démocratique, on peut communier dans un certain nombre de valeurs communes ; c’est le sentiment du bien commun qui sait partager sans diviser. Toute communauté, toute société a besoin de communion. Toute société nécessite-t-elle pour autant la croyance en Dieu ou même en une transcendance ? L’histoire me semble hésitante sur la réponse : Toute civilisation se base sur une religion qui se rattache à un ou plusieurs dieux ou à des forces transcendantes ; même le nazisme se réclamait de Dieu ; bien sur il y a les exemples de l’URSS, de l’Albanie, de la Chine communiste au XX ièm siècle, mais ce sont des exemples peu concluants, brefs dans le temps et dont il est difficile d’affirmer qu’ils ont été à l’origine d’une civilisation d’autant que pour le marxisme on a parlé de « religion de l’histoire ». Karl Marx, lui-même, reprochait à Feuerbach de ne pas comprendre que les hommes, ayant besoin de fraternité, sont sensibles à la religion qui leur donne le sentiment d’appartenir à une communauté. On ne connaît pas de grandes civilisations, sans mythes, sans rites, sans sacré, sans croyances donc sans religion.
Personnellement, je suis très attaché à cette approche de la religion qui fait communion, qui fait communauté. C’est un partage douillet, réconfortant, rassurant et pourtant je me sens en souffrance dans ma paroisse, dans mon diocèse, dans mon Eglise ou je me sens rejeté. C’est une contradiction profonde chez moi ! Cela doit m’interroger ! Je ne dois pas être fait pour vivre en communauté : Mis à l’écart par mon Eglise, rejeté par le mouvement scout, je ne ressens aucune attraction pour la communauté médicale. Sans doute, trop de doute, trop d’esprit critique, trop d’esprit de contradiction, trop d’indépendance, trop de misanthropie, trop de fermeture à l’autre, trop d’égoïsme. En ce sens, ce Tour du Monde devrait être l’occasion de m’ouvrir !
b. La religion, c’est relire, c’est recueillir
Beaucoup de linguistes pensent, comme Cicéron, que « religio » vient de » relegere » qui pourrait signifier « recueillir » ou « relire ». La religion serait alors ce qu’on relit avec recueillement. Cela suppose qu’une religion possède des mythes, des textes fondateurs, un enseignement comme la Torah, un savoir comme le Veda, une lecture ou une récitation comme le Coran, une Loi, des règles ou des commandements comme le Décalogue, un Livre comme la Bible. En ce sens, la religion est amour d’une Parole, d’une Loi ou d’un Livre ; d’un Logos, d’un Verbe. Elle est mémoire fidèle, recueil de préceptes transmis par la tradition, somme d’exigences et comme le formule Michelle Serres « La religion est le contraire de la négligence » La religion a dès lors une orientation plus verticale qu’horizontale. Dans cette version, il y a bien un lien mais avec la passé, les morts. La religion est alors plus fidélité que communion. Je ne pense pas qu’il faille interpréter cette étymologie comme un recueil sacré et définitif d’une parole disant la vérité entière et brute. Mais elle nous rappelle que la religion a un commencement ancien qui commande certaines choses. Saint Augustin affirmait : « L’esprit, c’est la mémoire » et Simone Weil rajoutait : « D’ou nous viendra la renaissance ? Du passé seul, si nous l’aimons »
Ce T.M.S devrait être une bonne occasion de découvrir ou de relire les textes fondateurs de différentes religions, les rites et commandements qui en découlent, ce qui devrait me convenir, moi qui voue un culte aux livres !
c. La religion serait donc communion et fidélité
La religion, c’est quelque chose qu’on recueille, qui est enseignée, qui est lue et répétée et qui alors va nous permettre de nous relier et de faire communauté.
Le dominicain Claude Geffré affirme dans son livre d’entretien avec Régis Debray « Avec ou sans Dieu » : « Il est impossible de faire lien sans faire sens et réciproquement » et il rappelle que Saint Augustin retenait déjà ces deux conceptions à l’origine de la religion.
Cela n’empêche pas certains, comme Régis Debray, d’insister sur la communion, donc sur la liturgie comme le baiser de paix. Il parle à ce sujet d’agrégation qui serait à l’origine « d’une formidable pulsion vitale qui explique le bonheur et la joie liés à ce moment exceptionnel de l’être-ensemble ». Il ajoute, à juste titre, « qu’il y a d’abord un constat de bon sens selon lequel le sens est commun ou n’est pas puisqu’il n’y a pas de langue individuelle et parce que qui dit langue dit groupe »
D’autres privilégierons l’herméneutique, le face-à-face avec le texte.
d. Selon les langues, selon les lieux, selon les temps, le terme religion peut soulever bien d’autres notions.
C’est ainsi que , selon Odon Vallet, « pour les Grecs, la religion exprimait plutôt les soins ( Therapia) donnés aux dieux et aux temples »
Pour les Chinois, la religion « jiao » est un devoir d’enseignement qui se rajoute à l’importance des rites dans le Confucianisme
L’expansion chrétienne soutenue par la conquête coloniale dès le XVI ièm siècle a conduit non seulement à une religion souvent syncrétique mais aussi à des manifestations diverse comme le « culte du cargo » qu’empruntaient prêtres et pasteurs.
2. Des mots clés renfermés dans ce concept de religion
a. Un Monde invisible qui peut prendre d’autres dénominations comme une réalité supra empirique, une essence, une spiritualité,
b. Une pratique de rituels individuels ou collectifs
c. La notion du Sacré Le mot sacré appartient bien, au sens strict, à la religion. Il s’oppose ainsi au profane et impose vénération et adoration. Il est naturellement source d’interdits et de tabous. On le retrouve dans toutes les religions ; autant dans les religions primitives comme dans le culte des pierres que dans le mystère de l’incarnation du Christianisme. Mais dans un sens plus large, on appelle sacré ce qui a une valeur absolue et ainsi parle-t-on du caractère sacré de la personne humaine dans la philosophie humaniste.
3. D’ autres définitions
a. Celle de Durkheim est éclairante :
« Une religion est un système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées, c’est-à-dire séparées, interdites ; croyances et pratiques, qui unissent en une même communauté morale, appelée église, tous ceux qui y adhèrent » . Cette définition a été reprise par Frédéric Lenoir qui définit la religion par « la croyance en un monde invisible et la pratique de rituels collectifs qui se rapportent à cette croyance » Il faut noter que cette définition ne fait pas appel à un ou plusieurs dieux car il existe des religions sans dieu comme le jaïnisme qui est athée et le bouddhisme qui est « une morale sans dieu et un athéisme sans nature ». On remarque aussi que la communauté des croyants n’est pas toujours un église et qu’on peut définir autrement le sacré. Enfin on parle bien de communauté mais pas de livre.
b. Celle du Dictionnaire de philosophie Hatier:
Elle distingue une religion « subjective » comprenant la foi et le sentiment religieux et une religion « objective » rassemblant rites, institutions, cérémonies..
c. Celle de Henri Bergson et qu’on trouve dans son ouvrage « Les deux sources de la morale et de la religion » :
Il distingue une religion statique « qui est consacrée par la tradition et par le dogme, et représentée par les Eglises » et une religion dynamique qui « consiste dans l’apport des grands mystiques, des saints, des apôtres, des réformateurs et fondateurs de nouvelles religions ». Pour lui religion statique et religion dynamique ne vont pas l’une sans l’autre, elles sont complémentaires : « Un dogme est toujours le produit et le fruit de nombreux esprits et de nombreux siècles, purifie de toutes les bizarreries, les insuffisances et les perturbations de l’expérience individuelle ».
d. D’autres insistent dans leur définition sur l’existence d’un monde supra empirique.
Ainsi pour Carl Jung : « La religion est, ainsi que l’exprime le mot latin religere, une prise en considération attentive, une observation consciencieuse de ce que Rudolf Otto a appelé le « numen », ou le « numineux », c’est a dire une puissance qui domine l’homme indépendamment de sa volonté, et qu’il attribue a une présence invisible ». Pour Goblet d’Alviella : « Par religion, j’entends la façon dont l’homme réalise ses rapports avec les puissances surhumaines et mystérieuses dont il croit dépendre »
e. Une autre approche insiste sur la dimension sociologique et historique de la religion :
– Selon Durkheim la religion est un instrument de communication et un instrument de connaissance ; elle permet un accord sur le sens des signes et le sens du monde. Elle a une fonction d’intégration logique et sociale des « représentations collectives ». Durkheim considère la religion comme un phénomène d’essence universelle. Il définit la religion par l’opposition entre sacré et profane. Toute religion se caractérise par la croyance en une force impersonnelle extérieure à l’individu. Or il est symptomatique que la seule force réelle qui dépasse les individus n’est autre que la société. La religion ne serait alors qu’une transposition de la société. Dieu est extérieur, supérieur à l’individu, comme la société est extérieure et supérieure à l’individu. Il est contraignant comme la société nous impose des contraintes. Dieu n’est donc que la transfiguration inconsciente de la société. La loi divine n’est rien d’autre que la loi sociale divinisée. « Quand notre conscience parle c’est la société qui parle en nous » ou encore « Le devoir c’est la société en tant qu’elle nous impose ses règles, assigne des bornes à notre nature. » Ainsi la morale religieuse comme l’idée de sacré trouvent leur source dans la société et il n’est nul besoin de présupposer l’existence de Dieu pour expliquer d’où vient la religion. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’une critique de la religion car Durkheim pense qu’elle a une utilité. Elle renforce l’autorité des lois sociales. On obéit plus facilement à un Dieu qui est censé tout voir qu’à l’autorité sociale seule, dont on peut toujours espérer l’impunité pour peu qu’on ait l’intelligence de ne pas se faire prendre. C’est une conception aliénante du divin. C’est comme le souligne Claude Geffré « la période archaïque du religieux ou la transcendance était définie en termes d’énergie ou de puissance et ou elle fournissait l’extériorité nécessaire à la cohésion sociale, en sorte que les hommes et les femmes étaient tous au même niveau, dans une situation de dépossession et de dette par rapport à la puissance extérieure religieuse » Pour ce théologien dominicain, ce n’est que dans un second temps, avec l’apparition des Etats, qu’une confusion entre le politique et le religieux se mit en place et perdure dans l’esprit de beaucoup.
– Selon Max Weber la religion a une dimension de pouvoir. Les religions ont puissamment influencé le développement économique ; il développe ainsi l’hypothèse d’affinités électives entre une partie de l’éthique et de la théologie protestantes, surtout le puritanisme calviniste, et la culture de l’investissement et du profit d’un entrepreneur capitaliste. Weber a adopté également une approche plus pratique et historique, axée sur la construction des formes de pouvoir et de domination. Sa fameuse typologie des formes d’autorité est restée dans la vulgate de la sociologie religieuse. M. Weber distingue l’autorité rationnelle légale du prêtre, au service d’une bureaucratie de salut, l’autorité traditionnelle du sorcier, fondée sur la transmission d’une tradition reçue, et l’autorité charismatique du prophète, porteur d’une révélation singulière. Cette typologie s’adosse à une opposition binaire entre deux types d’organisations religieuses. D’un côté, nous avons la secte, association volontaire d’individus religieusement qualifiés, en forte tension avec les valeurs dominantes. On se situe dans l’univers des virtuoses du religieux, des fraternités électives et de la prévalence du charisme. De l’autre se dresse le type « Eglise », bureaucratie de biens de salut. Cette dernière est portée par les prêtres, professionnels de la médiation entre le divin et les hommes, gardiens du dogme et du rite.
f. La religion : Un édifice à 3 étages ( et j’ai souvent l’impression de devoir rester dans le hall !)
En réfléchissant à cette question, on peut constater qu’une religion est comparable à un édifice à trois étages
– Il y a tout d’abord le niveau de la pratique concrète, niveau le plus évident, le niveau visible et palpable : des rites ; une organisation communautaire (Eglise, hiérarchie, bref : l’institution religieuse) ; des exigences d’ordre moral ou éthique, une Loi, donc un comportement individuel et social, un style de vie impliquant en général des incidences sur la vie politique, juridique, voire économique de la société dans son ensemble.
C’est la religion statique de Bergson dans laquelle les rites tendent à faire disparaître l’imprévisibilité du monde, les interdits et les dogmes essaient d’assurer la cohésion de la communauté. La religion n’est pas vécue comme seulement un réconfort mais un substitut à l’éducation, comme une discipline. Les rites qu’on rencontre dans toutes les religions mais aussi dans des activités spirituelles non religieuses comme dans la franc-maçonnerie, et bien que variés, ont des caractères communs : Leur codification ; leur répétition ; leur caractère plus ou moins obligatoire.
Or curieusement j’ai toujours eu une réticence envers les rites, les dogmes, l’institution ecclésiastique, le prosélytisme. C’est dire si j’ai l’esprit religieux !
– Tous ces phénomènes visibles renvoient à un autre étage, à un domaine invisible, à un monde spirituel qui est radicalement inaccessible aux sens physiques, accessible uniquement à l’intelligence. Parce qu’il est accessible uniquement à l’intelligence, on l’appelle aussi « intelligible ». C’est dire que les rites sont censés nous mettre en contact avec des entités intelligibles ou spirituels, tels le Christ vivant, Dieu, le Saint Esprit, parfois aussi des anges ou des humains décédés mais ressentis comme vivants : les saints, la Vierge etc. Le pratiquant à la certitude que ces êtres spirituels cherchent de leur côté à entrer en contact avec les humains : que le Saint Esprit agit dans les coeurs et dirige les humains, que Dieu et le Christ vivant aiment le fidèle, ou encore que Dieu, le Créateur et Sauveur des créatures leur accordera le don de la vie éternelle, vie éternelle qui sera bien entendu un forme d’existence spirituelle. Or curieusement, j’ai toujours eu une réticence envers la conception mariale et envers la notion de l’Esprit saint, de communion des saints, de salut, de rencontre avec Dieu. C’est dire si j’ai l’esprit religieux !
– Mais toutes ces religions savent qu’au dessus du domaine de l’intelligible, ou à l’intérieur de la religion intérieure ou spirituel, il y a un dernier niveau, un niveau ultime, qui est le Divin inconnaissable ou l’Ultime tout court. L’Ultime tout court, inconnaissable, indéfinissable, indicible, sans forme et sans visage, est la Source de toutes choses, le Fondement de l’univers et de la vie. Il est Vie, l’Energie vitale mais transcendante qui fait apparaître et qui anime et le monde spirituel et le monde visible. Or curieusement, j’ai toujours eu de la réticence pour le mystère qui expliquerait notre vie. C’est dire si j’ai l’esprit religieux !
4. Le terme Religion dans les autres cultures
Comme nous l’avons vu le mot « religion » est lié à la culture occidentale du fait de son origine latine
– En arabe, le mot employé est « din » دين() qu’on retrouve dans « medina » , le ville. En fait la notion de « din » implique une connotation de système tout à la fois politique, religieux, militaire, économique, social, juridique et de mode de vie
– En hébreu, le mot employé est également « din » et « bet din » ou maison de la religion est le siège du tribunal religieux
– En Inde, le mot qui correspond imparfaitement est « dharma » qui se traduit mieux par loi ou sens de l’ordre naturel des choses
– En chinois, on emploie au mieux le terme de « jiao » qui signifie enseignement
5. Distinction entre Religion et Secte ?
L’Eglise catholique, une secte qui a réussie ?
– Selon Marx, la religion a un aspect d’idéologie comme « transfiguration des rapports sociaux en rapports surnaturels, donc inscrits dans la nature des choses et par là justifiés ». La religion assume, dans cette perspective une fonction politique de conservation de l’ordre social. Marx et Engels pensent que la religion a de l’avenir tant que se maintient le capitalisme en raison des fonctions de consolation et d’oppression qu’elle remplit auprès des exploités (« la religion est l’opium du peuple »), alors que, en les libérant, le communisme rendra la religion inutile.
– Selon Bourdieu les « transformations technologiques, économiques et sociales » associées au développement urbain, comme « les progrès de la division du travail et l’apparition de la séparation du travail intellectuel et du travail matériel » sont à l’origine de deux processus intimement liés, que l’on pourrait qualifier de subjectif et d’objectif, à savoir la constitution d’un champ religieux d’une part, et d’autre part le processus de rationalisation des croyances et des rites. L’urbanisation favorise, par l’indépendance relative vis-à-vis des aléas naturels qu’elle procure, la « rationalisation » et la « moralisation » des besoins religieux et favorise le développement d’un corps de professionnels des biens de salut. Le clergé citadin contribue à l’intériorisation de la foi, à l’introduction de critères éthiques, du « bien » et du « mal », et de la notion de « péché », en tout cas dans le contexte judéo-chrétien. Les deux processus précédents, à savoir d’une part la constitution d’un champ religieux relativement autonome, caractérisé par la production, la reproduction et la diffusion des biens et services religieux, et par une complexification institutionnelle croissante, et d’autre part un processus de « moralisation » des pratiques et des représentations religieuses, ont plusieurs corrélats. On passe ainsi du mythe à l’idéologie religieuse (monopolisation de la contrainte hiérocratique par un corps de professionnels), du tabou au péché (transfert de la notion de souillure de l’ordre magique à l’ordre moral), du Dieu punisseur au Dieu juste et bon (attribution de qualités de plus en plus « sociales » à la divinité)
6. Distinction entre Religion et Spiritualité ?
La spiritualité en tant que vie de l’esprit est une dimension essentielle de la condition humaine et ne peut donc être le bien exclusif des églises.
La religion est généralement conçue comme une organisation plus ou moins structurée et rassemblant ceux qui ont sensiblement les mêmes croyances; alors que la spiritualité a un caractère plus personnel.
Historiquement la religion a, pendant des siècles, englober toutes formes de spiritualité, dans nos pays occidentaux; mais dorénavant, depuis les Lumières, c’est la spiritualité qui , en tant que vie de l’esprit, englobe les religions. On reconnaît maintenant que le religion n’est qu’une des façons de vivre une spiritualité
Pour certains, la distinction entre ces deux notions a à voir avec la liberté: Ainsi la religion vous ferait vous incliner, vous ferait suivre des règles, des rites, des commandements aux risques d’être puni ( Enfer. Excommunication. Procès d’hérésie….), alors que la spiritualité vous libérerait
Pour d’autres, cette distinction a à voir avec la notion de vérité: Ainsi la religion se targue souvent de vous livrer la vérité alors que la spiritualité vous aiderait à la chercher
Pour André Comte Sponville il y a bien une spiritualité sans Dieu: » Ce serait une spiritualité de l’immanence plutôt que de la transcendance, de la méditation plutôt que de la prière, de la fidélité plutôt que de la foi, de l’amour plutôt que de l’espérance »
7. Quelques remarques
– Il y aurait plus de 1.500 religions dans le monde et c’est ce qui a fait dire au prix Nobel Georges Charpak : « Placez un homme quelque part sur une île et, au bout d’un certain temps, il créera sa propre religion »
– On constate aussi que le mot « religion » est souvent pris en mauvaise part. On lui préfère souvent celui de « religiosité » ou de « spiritualité » ou de « communion ». Ce n’est pas seulement à cause de son origine étroitement occidentale et chrétienne et provenant étymologiquement de Cicéron ou de Lactance alors qu’il ne se retrouve pas dans les autres civilisations. C’est aussi parce qu’il est immédiatement synonyme d’une normativité dogmatique ou morale de plus en plus rejetée dans notre monde moderne.
– Dans cette approche de la religion, il faut souligner que le Christianisme a quelque chose de révolutionnaire. L’incarnation du divin, qui lui est propre, remet en cause la conception d’un Dieu conçu en terme de toute puissance, de perfection, d’inaccessibilité. Comme le souligne René Girard, « le Christianisme a introduit une rupture dans le lien congénital entre la violence et le sacré à la racine du religieux archaïque » Comme l’affirme Claude Geffré , le Christianisme, en remettant en cause la violence du sacré, a mis à mal l’altérité aliénante de Dieu et il ajoute : « D’une certaine façon, le Christianisme peut aussi à bon droit être désigné, avec Marcel Gauchet, comme la religion de la sortie de religion, à condition de définir la religion comme dépossession radicale et aliénante de l’homme par rapport à la divinité » Alors, le Christianisme, une religion de la liberté ?
B. Tentatives d’approches anthropologiques, archéologiques et historiques
1. Les recherches archéologiques nous font découvrir les premiers signes da religiosité dans des tombes remontant à quelques 100.000 ans.
En effet à Qafzeh, près de l’actuelle Nazareth, en Israël, des sépultures d’homo sapiens ont été découvertes. Les spécialistes estiment qu’il y a là des signes de croyance en une vie après la mort et de rituels porteurs de sens : La position fœtale de certains corps fait émettre l’hypothèse que la mort est conçue comme une nouvelle naissance. Le fait que la tête est généralement orientée vers l’est ou le soleil se lève confirmerait cette hypothèse. La présence d’objets de plus en plus sophistiqués à coté des corps évoque la croyance d’une mort conçue comme un passage.
L’art rupestre, 50.000 ans plus tard, est interprété par bien des spécialistes comme voie de communication avec un autre monde surnaturel. L’archéologue italien Emmanuel Anati fait de cet art un témoignage de préoccupations religieuses.
2. Une religion primitive ou première ?
Dans l’histoire des théories de la religion primitive, l’animisme, le totémisme et le chamanisme ont été pris tour à tour comme modèle. Les notions d’animisme, de totémisme et de chamanisme sont l’héritage d’un long passé de recherches savantes. Chacune de ces étiquettes reflète l’intérêt porté par les anthropologues sur telle ou telle facette des religions étudiées : les mythes totémiques chez les Aborigènes d’Australie, le personnage du chamane en Asie, les croyances animistes des religions d’Afrique noire.
Derrière la diversité des formes, ces religions possèdent une forte homogénéité reposant sur un noyau commun de pratiques et de croyances. Ce noyau commun comporte quatre éléments fondamentaux :
Toutes les religions traditionnelles admettent l’existence d’un monde invisible peuplé de divinités : dieux, esprits, ancêtres, âmes ou forces surnaturelles. Ainsi pour se rassurer face aux aléas, aux menaces, aux dangers de la nature et pour exprimer en même temps le sentiment d’admiration qu’il éprouve devant la beauté et la grandeur de cette même nature, l’homme va donner une substance au monde invisible
Les hommes cherchent à se rendre favorables ces esprits à l’aide de rituels : prières, cérémonies collectives, rites propitiatoires.
La religion impose aux individus des règles de conduite, des devoirs et interdits qui règlent la vie de la communauté.
Des médiateurs du sacré : chamane, prêtre, devin ou maître de cérémonie, sont chargés de présider aux rituels et de transmettre les connaissances relatives au monde du sacré.
En étudiant les différentes zones préhistoriques, les différents mythes, des rituels variés, des interdits divers on pourrait avoir l’impression de cultures fort différentes sans relations entre elles mais en fait on retrouve rapidement un sentiment de répétition avec l’impression que le même scénario se répète un peu partout ou on retrouve : un panthéon de dieux, des formes de culte destinées à s’attirer leurs faveurs, une morale visant à encadrer les comportements de chacun et à assurer la vie en communauté.
D’autres points communs ont été relevés tant au Proche Orient qu’en Afrique ou en Europe. Ainsi l’usage de la couleur rouge ou ocre ; l’absence de figuration de végétaux et l’omniprésence d’animaux ; la représentation d’humains dans la position dite de l’orant, c’est-à-dire les bras levés vers le ciel.
3. Le monothéisme, religion originelle ?
C’est une conception d’origine chrétienne selon laquelle l’humanité aurait d’abord été monothéiste puis, suite à la déchéance originelle, aurait voué des cultes aux animaux, aux forces naturelles, aux idoles et à de multiples divinités, avant que ne soit révélé le christianisme. Pour ces religions on parle de paganisme, d’idolâtrie, de religions des « sauvages ». Quant aux autres religions monothéistes (judaïsme et islam), elles sont considérées comme étant infidèles à la Révélation complète.
Au début du XX ièm siècle, un missionnaire linguiste catholique, Wilhelm Schmidt soutient dans son livre « L’origine de l’idée de Dieu » que le monothéisme est la religion originelle de l’humanité. Il rapporte la légende africaine de la pileuse de mil : Il y avait autrefois, dit cette légende, une femme qui s’acharnait à moudre des céréales qui lui résistaient au fond de son mortier. Pour tenter de les écraser, elle levait son pilon très haut, l’abaissait avec force, mais en vain. Elle le levait alors de plus en plus haut, jusqu’à toucher le ciel, jusqu’à toucher Dieu qui s’éloignait pour éviter les coups de pilon. Les grains résistaient toujours. Mais Dieu s’éloigna tant et si bien qu’il finit par ne plus entendre la voix des hommes. Pour s’adresser à lui, ces derniers eurent recours aux esprits des ancêtres et de la nature et finirent par oublier Dieu.
On retrouve cette même explication dans l’analyse du vieux mythe mésopotamien de l’éloignement du dieu An, qui à force de s’entourer d’une cour de plus en plus complexe de fils et de dieux inférieurs, finit par devenir inaccessible aux humains.
En 1923, le pape Pie XI subventionna une expédition au cœur de la forêt africaine pour étudier les Pygmées. L’entreprise n’était pas missionnaire : il s’agissait de vérifier la théorie du « monothéisme primitif » selon laquelle les Pygmées croyaient en un dieu unique. C’est ainsi que des missionnaires ethnologues furent envoyés à la rencontre des petits hommes de la forêt. Parmi eux, il y avait le révérend père Paul Schebesta, missionnaire autrichien, qui fit plusieurs expéditions au Congo chez les Pygmées « bambuti » et leur consacra de nombreux ouvrages. Dans son livre Les Pygmées, il déclare avoir trouvé des coïncidences troublantes entre le dieu suprême des Pygmées, créateur de toutes choses, et celui de la Bible.
On retrouve dans le « Dictionnaire de théologie catholique » cette notion : « La révélation biblique indique aux croyants qu’à l’origine existe non pas l’animisme mais une religion pure et monothéiste. Les polythéismes antiques et modernes n’en sont qu’une dégradation »
C’est là qu’il faut reconnaître, comme le dit Régis Debray « qu’il nous en coûte vraiment d’admettre que le créateur ex nihilo du monde n’a pas été crée ex nihilo » ! Et pourtant, il semble bien qu’il nous faille reconnaître que notre Dieu n’a pas de droit d’aînesse sur les idoles et esprits de notre histoire et préhistoire. Ainsi s’adresser à l’esprit d’un mort, dialoguer avec lui par la prière et l’offrande, investir la mort d’un message de vie n’implique pas un Dieu unique. Les mythes que nous avons décrits sont, en effet, relativement tardifs au sein de leurs croyances.
On comprend bien la propension de l’Eglise à vouloir faire de son monothéisme la religion originelle. En effet, si non, comment comprendre que Dieu a pris tant de temps pour se faire connaître. Sur une planète vieille de 4 milliards d’années ou l’homo sapiens est apparu il y a 1 million d’années, Elohim a pris son temps puisque Il ne surgit qu’il y 6.000 ans !
Pourquoi ce retard à la révélation chrétienne ?
C’est une grande question que Régis Debray formule ainsi : « Pourquoi l’horloge du grand horloger retarde-t-elle tellement sur la montre de l’espèce humaine ? Pourquoi le sapiens sapiens a-t-il pu édifier des sociétés viables durant des dizaines de milliers d’années, en de multiples points du globe, sans se référer à un Dieu unique ? » Et il répond : « Dieu est impensable sans l’écriture essentiellement et la rue accessoirement, qui réduisent de plusieurs crans la dépendance de l’homme à l’espace naturel (la roue) et au temps naturel (l’écriture) »
A l’opposé, on retrouve un courant de pensée qui affirme un évolutionnisme religieux qui aboutit au monothéisme.
Ainsi dès le XVIII ièm siècle David Hume, dans son ouvrage « Histoire naturelle de la religion », considère que, dans l’histoire, la religion est passée progressivement du polythéisme au monothéisme. Bien qu’il qualifie le polythéisme de « religion primitive de l’homme non cultivé », « une erreur » par laquelle est passée l’humanité avant d’accéder à la « vérité » du monothéisme, il lui reconnaît une valeur de tolérance qu’il oppose à l’intolérance du monothéisme.
Les philosophes des Lumières adoptent cette thèse qui est en outre en affinité avec l’idée d’un progrès allant du polythéisme vers le monothéisme, le déisme, la religion naturelle ou l’athéisme, selon les auteurs, ce progrès correspondant au rôle accru de la raison. Bien sûr, au 19e siècle, le romantisme prend le contre-pied de cette philosophie et, en son sein, des courants avancent que l’humanité primitive aurait eu la connaissance d’une sagesse primordiale. Cette sagesse se serait perdue mais elle aurait été en partie transmise, selon les uns, par les traditions ésotériques, selon d’autres, par les religions de l’Inde ou à travers les religions de l’Egypte et du Moyen-Orient, ou encore selon une combinaison des trois ; le Christ aurait lui-même été un grand initié ou un restaurateur de la sagesse primordiale. Dans le prolongement, un engouement pour l’ésotérisme et pour l’Inde se développe dans la seconde moitié du 19e siècle ; il va déboucher sur l’ésotérisme actuel et sur le Nouvel Age.
Mais au XIX ièm siècle, c’est Benjamin Constant, dans « De la religion considérée dans sa source, ses formes et ses développements » qui présente ce qu’il appelle les trois étapes de la progression de la pensée religieuse : Le fétichisme qui serait l’étape la plus frustre, le polythéisme et enfin le monothéisme.
Au milieu de ce même siècle, Auguste Comte, le père du positivisme, distingue trois états de l’histoire humaine : l’état théologique ou chimérique, l’état métaphysique ou abstrait et l’état scientifique ou positif. Dans le premier état, l’homme recherche les causes des phénomènes dans des puissances surnaturelles ; dans le seconde état, dans des notions abstraites (l’idée de Nature, des absolus, des causes premières) ; et, dans le troisième état, dans des processus concrets.
Vingt ans plus tard, un proche de Charles Darwin, John Lubbock tente d’appliquer les thèses évolutionnistes à la religion pour conclure que la théorie d’un Dieu unique et créateur est le résultat d’une longue évolution de la pensée à partir d’un athéisme originel.
Edward Tylor pense que la religion première était l’animisme et il théorise une évolution allant de l’animisme au fétichisme, au naturalisme, au polythéisme et enfin au monothéisme
L’anthropologue écossais James Frazer, dans une fresque de 16 volumes parue sous le titre « Rameau d’or » envisage l’histoire des religions dans un sens évolutif vers le monothéisme qu’il perçoit comme un aboutissement.
Le linguiste allemand, Max Muller, à la fin du XIX ièm siècle, classifie les religions et postule une supériorité du christianisme.
Actuellement, et fort heureusement, la plus part des spécialistes des religions ne retiennent plus des critères de valeur qui aboutissaient à la présupposée suprématie chrétienne. Il faut reconnaître que cette thèse manifestait quelque relent néocolonial ! L’idée de la supériorité de la civilisation occidentale chrétienne imprègne encore mon Eglise !
Mais l’évolution de la religion vers une sophistication et une abstraction plus grandes n’en demeure pas moins légitime. Ainsi, au fil des millénaires, la rationalité n’a cessé de croître ; plus besoin de croyance, d’esprits pour espérer que le soleil se lèvera à nouveau ! L’homme va s’arracher progressivement à la nature qui perd progressivement de son aura magique. Selon Max Weber ce processus de rationalisation est la cause du « désenchantement du monde ». On assisterait pour lui non seulement au déclin de la magie et du surnaturel mais aussi à celui des religions en tant que technique de salut et de vision du monde. Il est en effet certain que dès lors qu’un phénomène naturel ou humain est explicable scientifiquement, on ne lui attribue plus d’explication divine ou mystique.
A la suite de Karl Jaspers, on perçoit l’évolution du sentiment religieux comme progressif mais passant par des points de rupture. « Quatre fois, l’homme semble reparti d’une nouvelle base » écrit-il.
Au paléolithique l’homme fait partie intégrante de la nature et ne se posait vraisemblablement pas la question de ce qu’était la nature. Il était chasseur cueilleur et devait entretenir avec l’univers un rapport ambigu de crainte et de vénération. La nature est son berceau, sa maison et sa tombe ; il vivait en symbiose avec elle. C’est l’époque de ce que Mircea Eliade appelle « les comportements magico-religieux des paléanthropiens ». C’est le temps du chamanisme.
Le premier tournant axial apparaît au néolithique avec la sédentarisation et l’apparition des premiers villages. Il s’agit au début de sociétés purement orales qui voient apparaître dieux, déesses et cultes variés. Il s’agit de la manifestation de la prise de conscience de l’homme comme distinct du cosmos. L’homme commence à penser sa singularité et s’accorde un rôle central de médiateur entre le monde divin et le monde terrestre. L’homme se conçoit toujours comme partie intégrante de la nature dont l’ordre n’est pas nié mais il est intériorisé et c’est l’action humaine à travers le rituel religieux qui est censée maintenir l’ordre d’un monde qui peut paraître instable. C’est le temps des religions orales agro-pastorales comme celle des Dogons du Mali.
Entre 800 et 200 av. J.-C, un changement radical surgit, si on suit Karl Jaspers. Jaspers fait de cette période la « période axiale » de l’histoire car il y voit « la naissance spirituelle de l’homme » et nous en sommes encore les héritiers par bien des aspects. Cela correspond à l’apparition du zoroastrisme en Iran, des grands prophètes en Israël, de la science, de la démocratie et de la philosophie en Grèce, du Jaïnisme et du bouddhisme en Inde, enfin de la philosophie, du Confucianisme et du Taoïsme en Chine ; la naissance du christianisme et de l’islam prolongent cette mutation. Toutes ces spiritualités avaient en commun de s’éloigner des religions traditionnelles centrées sur le rituel, le sacrifice et l’ordre social par l’appel à des sagesses plus individuelles, tournées vers la vie intérieure. Les travaux de nombreux sociologues aident à comprendre cette vaste révolution spirituelle qu’a été le passage des religions polythéistes nationales aux religions universalistes de salut. Le grand sociologue des religions Yves Lambert fait enchaîner les religions polythéistes antiques comme la religion mésopotamienne, la religion athénienne à l’époque classique et le védisme et les religions de salut comme l’hindouisme, le bouddhisme, les religions hébraïque et juive, le catholicisme et l’islam.
Le bouleversement religieux moderne. Jaspers voyait lui-même la modernité comme une probable « seconde période axiale »
Pour Joseph Kitagawa, professeur à l’université de Chicago, les tendances modernes de toutes les grandes religions partagent plus ou moins trois tendances : – Le souci du sens de l’existence humaine, devenu la première préoccupation de l’homme religieux moderne pour qui le divin reste signifiant dans la mesure où il permet à l’homme de mieux se comprendre – Une sotériologie intra-mondaine . Ainsi il écrit : « Toutes les religions classiques tendaient à avoir des attitudes négatives vis-à-vis de l’existence phénoménale et reconnaissaient un autre domaine de réalité. Dans cette vie-ci, l’homme était pensé tel un passager ou un prisonnier aspirant à un paradis ou un nirvana qui le délivreraient de la souffrance, du péché, de l’imperfection, de la finitude. Or un changement radical a eu lieu dans la mesure où, dans l’esprit des hommes modernes, l’existence d’un autre domaine de réalité n’est pas vraiment prise au sérieux. Certes, ils utilisent encore des termes tels que le paradis, la Terre Pure, le nirvâna et le Royaume de Dieu. Ces termes ont seulement un sens symbolique pour la mentalité moderne… ce monde phénoménal est le seul véritable ordre de réalité, et la vie ici et maintenant est le centre du monde du sens » – La recherche de la liberté plutôt que la préservation de l’ordre. Il déclare : « La gloire de 1’homme est sa foi dans sa propre capacité à transcender les limitations que 1’homme pré-moderne acceptaient comme l’évidence de la finitude….mais il est écartelé entre, d’une part sa volonté de s’émanciper du passé avec ses sanctions transcendantes, et d’autre part, sa recherche du nouveau, de la créativité et de la liberté ».Il met ainsi parfaitement le doigt sur la contradiction humaine moderne entre le besoin de liberté et la recherche de sens.
Pour le sociologue américain Robert Bellah , « le trait caractéristique de la religion moderne des débuts est l’effondrement de la structure hiérarchique à la fois de ce monde-ci et du monde de l’au-delà…. Dans le nouveau contexte, le salut n’est pas à trouver dans quelque forme de retrait du monde mais au sein des activités mondaines » Il décrit une « dédualisation » qui est à la fois rapprochement du divin et de l’humain et affaiblissement de l’aristocratie. Pour lui il n’y a bientôt plus de place « pour un système symbolique religieux de type dualiste hiérarchique du type historique » Cette évolution qu’il voit à l’œuvre dans chaque religion, il l’attribue principalement aux processus de démythisation, ce qui renvoie au rôle de la science et d’individualisation qui renvoie à la quête de liberté, qui réduisent la distance au divin et au clergé. Il souligne les conséquences de l’individualisation sur le mode d’appartenance religieuse : « la symbolisation de la relation de l’homme aux conditions ultimes de son existence n’est plus le monopole d’aucun groupe explicitement labellisé religieux… maintenant moins que jamais la recherche de sens peut-elle être confinée dans une Église » On pourrait reprendre sur ce sujet la formule de Thomas Paine : « Mon esprit est mon église » ou celle de Thomas Jefferson : « Je suis une secte moi-même »
Hajime Nakamura, philosophe bouddhiste japonais, insiste sur l’idée, qu’il voit poindre partout, selon laquelle toutes les religions sont valables et possèdent une part de la vérité ou de la voie, idée souvent illustrée par la métaphore de la montagne dont tous les chemins convergent vers le sommet. Il souligne l’importance des tendances en faveur de l’égalité, des laïcs et des masses.
Karl Jaspers discerne dans cette période quatre traits radicalement neufs : la science et la technique modernes, la volonté de liberté, l’émergence des masses sur la scène de l’histoire (nationalisme, démocratie, socialisme, fascisme, indépendances, etc.) et la mondialisation.
Au total la période moderne est marquée par différents caractères qui, selon les civilisations, les cultures, la géographie, vont jouer un rôle plus ou moins important : La rationalisation avec, en particulier, les progrès de la science et de la technique modernes et englobant la primauté de la raison et de la science. Le développement de l’économie avec, en particulier la mondialisation. La différenciation fonctionnelle L’individualisation. La crise de crédibilité des « grands récits ». Cela va de la croyance au progrès infini, au Christianisme et aux grandes idéologies comme le communisme. Il faut y ajouter : La possibilité d’une autodestruction de l’humanité. La globalisation en particulier de l’information. L’affaiblissement de la valeur famille. L’exode rural et l’urbanisation.
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