Nous devrions prendre place à bord du Trans mongolien qui nous conduira de Moscou à Beijing soit 7807 Km à la vitesse moyenne de 60 Km/h, ce qui met Beijing à 7 jours de Moscou sans étape. C’est le chemin de fer le plus long du monde qui va nous faire traverser 7 fuseaux horaires et plusieurs centaines de gares, ponts et tunnels Autrefois qualifié de « plus beau joyau de la couronne des Tsars », devenu outil de développement économique et diplomatique, emblématique de la résistance aux armées blanches puis nazies, mémoire des goulags, ce train va sans doute nous faire rêver dans l’avenir au cours duquel on envisage la liaison ferroviaire entre Londres et New York via un tunnel sous le détroit de Béring
2. Pour la lenteur du voyage qui va nous permettre
D’admirer les paysages.
D’échanger avec des compagnons de voyage qui seront essentiellement russes durant l’hiver
D’obéir aux rituels de ce trajet : Partager nos victuailles. Faire des parties de jeux collectifs. Converser avec la « provodnitsa » l’hôtesse du wagon. Supporter quelques compagnons ivres.
D’observer les Mamouchka, les soldats en permission, les hommes d’affaires, les étudiants en vacances
De lire les grands textes du voyage en Sibérie comme Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France de Blaise Cendrars ; Le Transsibérien, l’extrême Orient-Express de Jean des Cars ; Le Transsibérien : un train dans l’histoire de Claude Mossé ; L’île de Sakhaline de Tchekhov ; Une journée d’Ivan Denissovitch d’Alexandre Soljenitsyne.
De narrer nos premières étapes sur notre blog
De dormir différemment selon les classes: Platskart, Koupe, Luxe
De se laisser aller à la rêverie en lisant des vers comme : « J’ai vu – J’ai vu les trains silencieux les trains noirs qui revenaient de l’Extrême-Orient et qui passaient en fantômes – Et mon oeil, comme le fanal d’arrière, court encore derrière ces trains » « Le transsibérien. La ligne mythique. Deux rails en forme de ligne de fuite qui la conduisaient jusqu’au pacifique. La piste de la liberté qui donnait sur l’océan »
De prendre une nouvelle conscience du temps qui ne semble pas passer tant le paysage se pérennise et que la neige parait immortelle ; et pourtant les visages s’asianisent, les forets se font profondes, les rivières s’élargissent, steppes, toundras, taïga, lacs gelés se succèdent et la succession de villages d’isbas est entrecoupé de villes à l’architecture encore marxiste.
De découvrir la vraie Russie et les vrais Russes. Comme l’écrit Vladimir Fédorovski : « Dans la civilisation russe, le train joue un rôle essentiel. Tolstoï l’a écrit, Trotsky l’a vécu. J’étais à bord du Transsibérien, j’observais les paysages et j’ai compris que la vérité de ce pays ne trouvait ni à Moscou – que j’ai décrit dans Le roman du Kremlin – ni à Saint-Pétersbourg » Un spécialiste de la Russie, Hedrick Smith, a pu écrire : « L’Occidental qui ne s’est pas aventuré en Sibérie par chemin de fer peut difficilement concevoir l’immensité de la Russie. Nos structures mentales sont inadaptées à la compréhension de la réalité géographique d’une nation qui s’étend sur onze fuseaux horaire »
De concevoir différemment l’espace car, si on doit se sentir à l’étroit au début du voyage, on apprend à investir les lieux et à optimiser l’espace
Le Transsibérien est lent, c’est un fait mais qu’on se souvienne qu’il a à peine plus d’un siècle il était plus rapide pour gagner Vladivostok depuis Moscou, de passer par l’Amérique en traversant l’Atlantique puis le Pacifique !
3. Pour son histoire si riche d’enseignements :
– Trente ans d’études et de recherches ont été nécessaires avant le lancement de l’une des plus formidables aventures techniques et humaines pour ce qui ambitionne de devenir, selon les mots du Tsar en personne « une merveille des temps modernes » : Indifférence gouvernemental pour ces régions reculées. Lutte d’influences entre les villes et les régions concernées. Difficultés techniques et financières. (Les choses n’ont pas changé en France !)
– Un personnage clé à son origine : Le comte Mouraviev-Amourski, gouverneur général de la Sibérie orientale de 1847 à 1861.
– Des motivations multiples pour sa construction : Nécessité d’une révolution industrielle russe qui doit utiliser les richesses minières de l’Oural et de la Sibérie. Appuyer la flotte russe du Pacifique impliquée dans les conflits russo japonais. Influence de la réussite du transcontinental canadien. Combattre l’influence britannique venant du sous-continent indien. Indifférence première de l’empire chinois. Volonté de prestige et nationalisme.
– Le tsar Alexandre III proclama officiellement la construction en Mars 1891
– Un Maître d’ouvrage : Serguei Ioulevitch, comte Witte qui passa de l’humble poste de guichetier à celui de chef de gare puis de directeur des affaires ferroviaires et de ministre des finances pour devenir « un Etat dans l’Etat ». (Il utilisa les fameux emprunts russes si chers à nos grand-parents !)
– Les immenses difficultés techniques rencontrées : Epaisses forêts, franchissements multiples de cours d’eau sensibles aux crues, gel et neige, bourbiers, chaleur extrême, sous-équipement matériel, logistique défaillante.
– Une main d’œuvre diverse : Maçons italiens, ouvriers chinois, prisonniers exilés en Sibérie, forçats confrontés aux intempéries, aux attaques de bandits, aux épidémies. (Travaux forcés comme à l’époque du Canal de Suez !)
– Un trajet pas toujours parfaitement maîtrisé qui reproduisait l’itinéraire de la malle-poste, celui des caravanes de la soie. On dit même que, lorsque le tsar commanda, en 1850, la construction d’une ligne Moscou Saint Petersbourg, il ait accidentellement contourné de son doigt une région près de Novgorod. N’osant pas lui en faire la remarque, les ingénieurs intégrèrent la boucle dans leur plan ce qui donna naissance à un coude de 17 Km qui ne fut rectifié qu’en 2001 !
– Des promesses radieuses au cours de sa construction : On parlait à l’exposition universelle de Paris en 1900, de « luxueux palais ambulant » avec caviar, wagon fumoir, salon de musique, baignoire en cuivre et même d’une voiture abritant une église orthodoxe. Les réalités du voyage furent tout autre : Manque de provisions, retards taux d’accidents Il faut noter qu’en 2005, l’Eglise orthodoxe a conclu un accord visant à rétablir les voitures de culte sur le réseau ferré russe ! Il existe également des wagons médicaux qui sillonnent les villages sibériens !
-Le Transsibérien est au cœur de bien des épisodes de l’histoire récente de la Russie : Les cheminots russes jouèrent un rôle essentiel au cours de la révolution de 1905 par la grève, au cours de la révolution bolchevik de 1917 en refusant de transporter les troupes du Général Kornilov. Il fut au centre de la guerre civile et les troupes bolcheviks menées par Trotski mirent plus de 3 ans à contrôler la ligne menacée par les cosaques et les armées blanches tsaristes Il servit de ligne de survie pendant la seconde guerre mondiale en acheminant hommes et matériel
4. Pour son rapport particulier avec la France
Tout commence avec la parution en feuilletons mensuels dans un magasine illustré du Michel Strogoff de Jules Verne avant de devenir un livre, une pièce et un film à succès. Il fit découvrir la Sibérie aux Français qui se mirent à en rêver.
Le Transsibérien deviendra rapidement le ciment de l’amitié franco-russe dès sa construction. D’un côté la Russie des tsars voulait rompre son isolement au moment où des menaces se levaient venant du Japon et de Chine et de l’autre côté la France cherchait à prendre en tenaille l’Autriche-Hongrie et l’Allemagne. De plus notre pays était intéressé par le rapprochement avec ses comptoirs en Asie que permettait cette liaison ferroviaire avec l’Extrême-Orient. C’est de cette époque que date une partie des fameux emprunts russes de si funeste mémoire pour bien des générations !
Les usines Eiffel fournirent bien des éléments métalliques pour la construction de cette voie. Ainsi le Transsibérien devint une des vedettes de l’Exposition Universelle de Paris en 1900
De grands écrivains français firent ainsi rêver des générations, comme Blaise Cendras dans La Prose de Transsibérien ou dans La petite Jehanne de France
comme Joseph Kessel dans Temps sauvages.
5. Pour ce qu’il nous apprend sur l’âme russe.
En effet le train a toujours été attaché à la culture russe. Il suffit de penser aux scènes de gare dans Anna Karénine
ou dans Docteur Jivago
de se souvenir que Tolstoï est mort dans la gare d’ Astapovo
de se rappeler que Lénine est arrivé à Saint Pétersbourg dans un train mystérieux au wagon plombé
de se remémorer que Staline ne parcourait le pays qu’en train avec son wagon blindé vert
que le réalisme socialiste n’a pas manqué de faire du train un symbole de progrès.
Tchékhov a effectué en 1890 un voyage devenu célèbre à travers « la terre de nulle part » en voulant, en tant que médecin, gagner l’île de Sakhaline et étudier les conditions de vie des bagnards ; il en revint épuisé et soutint dès lors la construction du train.
Dostoïevski a raconté son exil au fin fond de la Sibérie dans Souvenirs de la Maison des Morts.
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