HISTOIRE de la RUSSIE

ParJacques BONNAUD

HISTOIRE de la RUSSIE

À l’origine, un territoire immense

Au début de son histoire, la terre de la future Russie est une plaine immense et monotone, aux reliefs peu élevés. Les peuples nomades peuvent facilement la parcourir : des Cimmériens sont présents au Xe siècle avant notre ère, après quoi les Scythes dominent la région du VIIe siècle au IIe siècle avant notre ère, puis les Sarmates arrivent au IIe siècle av. J.-C. et seront suivis par d’autres tribus venant du nord et de l’est, les Huns, les Bulgares, les Khazars, les Goths, les Wisigoths et les Vandales.

Parmi ces peuples, deux jouent un rôle particulier : les Scythes, qui créent un contact entre les peuples de la mer Noire et les colonies grecques du Pont Euxin ; et les Khazarsiècle (à propos des azars, lire l’excellent roman historique de Marek Halter, Le Vent des Khazars).
Mais il ne s’agit là que de peuples épars, bien loin de constituer un véritable Etat. Il faut attendre pour cela les Slaves puis les Varègues, qui vont donner la première impulsion dans la constitution de la future Russie.

Naissance du premier État
Les véritables ancêtres des Russes sont les Slaves.           slaves                                                                                                                               Ce peuple originaire du nord-est des Carpates s’est éparpillé au cours des siècles adoptant des caractères divers selon le lieu où il s’est installé. Ainsi est-il à l’origine des Yougoslaves au sud (youg signifie  » sud « , ce sont donc littéralement les Slaves du sud), au nord, il a donné naissance aux Polonais, à l’ouest aux Tchèques et aux Moraves et à l’est aux Russes. Les Slaves s’implantent sur ce qui deviendra la terre russe entre le VIe et le IXe siècle de notre ère.
Si les Slaves sont à l’origine du peuple russe, ils ne sont encore au IXe siècle qu’un ensemble de tribus éparses et en lutte les unes contre les autres. Il n’y a aucune unité entre ces dernières, car au sud, elles sont tributaires des Khazars et au nord, elles dépendent des Varègues. varegues

Ces derniers venus de Scandinavie sont des aventuriers navigateurs dont le nom issu du vieux islandais ( var: le serment et gengi le compagnon) désigne des hommes ayant établi un pacte pour une mission commune qui est celle qui est d’établir des comptoirs jusqu’à Constantinople.                   Aussi, pour chasser les Khazars et se défendre face à de nouvelles invasions des nomades turques, les chefs slaves et Varègues procèdent à des alliances.                                                                                                                                                                                                                                                                                      La légende raconte que les Slaves, émerveillés par les Varègues, leur auraient dit :  » Notre pays est vaste et fort, mais le désordre y règne, venez nous servir de princes.  » Aussi les Varègues se trouvant sur cette terre sont appelés Rus, mot dérivé du finnois Ruotsi, qui désigne le Roslagen, une région du sud de la Suède où vivaient les Varègues ( Une autre étymologie fait remonter le mot Russe au vieil islandais roor qui signifie rameurs). Ce sont eux qui vont donner une première dynamique dans la constitution d’un Etat.

Ainsi les tribus slaves se trouvent-elles unifiées pour la première fois en 860 sous l’égide d’un prince varègue, Rurik, originaire de Jütland, au Danemark.

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La conquête de ces territoires revêt un grand intérêt économique. La Volga et le Dniepr constituent des routes commerciales capitales pour relier les pays scandinaves à Constantinople, car les pirates empêchent de transiter par la Méditerranée qui est pourtant le chemin le plus direct. On appelle cette route, la route des Varègues aux Grecs. Or, les Varègues veulent acheminer des biens comme l’ambre des pays baltes ou les fourrures des forêts russes et ils sont de même attirés par les richesses de Constantinople. La ville qui représente le plus grand intérêt d’un point de vue économico-stratégique est Kiev. A son arrivée, Riurik s’empare de Novgorod. Puis son successeur Oleg dit le sage réussit à s’emparer de Kiev en 882 où il installe le centre de l’Etat. Il donne naissance à ce que l’on appelle la Rus de Kiev et fonde la dynastie des Riourikides qui règne en Russie jusqu’en 1598. Le premier Etat russe se développe alors, suivant cet axe commercial de la route des Varègues aux Grecs.

Âge d’or de la Rus de Kiev : du IXe au XIIe siècle ou l’influence de Byzance

 

Le siège de la première dynastie des Riourikides se trouve à Kiev, aussi appelle-t-on ce premier Etat la Rus de Kiev.

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Il s’agrandit au fur et à mesure des conquêtes des descendants d’Oleg, jusqu’à dominer progressivement une grande partie des Slaves. Cette Rus va s’ouvrir peu à peu à une nouvelle influence, celle de Byzance. Les Slaves sont un peuple païen, leur tradition se transmet sous forme orale car ils ne possèdent pas d’écriture. Chaque année, un bateau vogue sur le Dniepr jusqu’à Constantinople pour apporter fourrures et esclaves et rapporter épices, vin, soies et or. Ainsi les peuples slaves à la culture si différente entrent-ils en contact avec cette civilisation.
Le premier signe en est la conversion d’Olga, belle-fille de Riurik, au christianisme vers 957, sans doute lors d’un voyage à Constantinople, ville qui l’aurait émerveillée. Elle cherche alors à convertir son fils Sviatoslav, en vain.

La conversion de la Russie au christianisme sera l’œuvre de son successeur, Vladimir.

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Elle a lieu dans un contexte particulier. Les deux Eglises d’Orient et d’Occident sont dans une situation de concurrence et cherchent chacune à gagner de nouveaux adeptes. Aussi la conversion de la Rus de Kiev au christianisme s’inscrit-elle dans un contexte d’intérêt géostratégique pour Constantinople. Par ailleurs, Basile II, empereur byzantin, cherche des alliances pour rompre son encerclement et garantir sa sécurité au nord des détroits.
Vladimir I, le successeur de Sviatoslav,surnommé au début  » Le Soleil rouge » du fait de sa brutalité, décide, avant de se convertir, d’étudier toutes les religions. Aussi fait-il venir à la cour des représentants de toutes les religions monothéistes. Les Juifs ne lui plaisent pas parce qu’ils ne mangent pas de porc. L’Islam est inenvisageable car  » la joie des Russes est dans la boisson « , le christianisme de Rome, quant à lui, impose des jeûnes. Enfin, le porte-parole des Grecs de Constantinople séduit le roi par son discours qui ne fait mention d’aucun interdit. Vladimir envoie alors des émissaires à Byzance qui sont éblouis par la magnificence du rite liturgique. En assistant à la liturgie dans Sainte-Sophie, ils auraient dit qu’ils ne savaient plus s’ils étaient au ciel ou sur la terre.
L’alliance entre la Rus de Kiev et Byzance est officiellement décrétée par le baptême de Vladimir à Kherson en 990 et son mariage avec Anne, la soeur de Basile. Le prince de Kiev impose alors à la population un baptême dans les eaux du Dniepr, dans lesquelles il jette par ailleurs toutes les anciennes idoles des cultes païens passés. Kiev se dote d’une cathédrale, sur le modèle de Sainte-Sophie à Constantinople, ainsi que de nombreuses églises. La ville est alors la plus belle de Russie. Il s’agit donc d’une conversion imposée par décret, ce qui explique que de nombreuses croyances païennes persisteront en marge de la foi orthodoxe, c’est ce que l’on appelle le phénomène de  » la double foi « .
La Russie se convertit tard par rapport aux autres peuples d’Europe, mais cet événement est fondamental pour la suite de son histoire : en devenant chrétienne, elle intègre l’Europe. De plus, c’est de Byzance qu’elle reçoit son art, son architecture et ses icônes. Grâce à l’écriture, une littérature prend naissance.
Enfin, cette conversion achève d’unifier la Rus, après le premier élan donné par les Varègues. En effet, elle est utile au prince car elle permet d’unifier les Slaves orientaux au sein d’une même foi. (Tout cela rappelle la démarche de Constantin à Rome quelques mille ans plus tôt)
Et donne une cohérence à l’empire multiethnique qu’était jusqu’alors l’Etat varègue. La liturgie slave va devenir la base de l’identité culturelle nationale.

Déclin de la Rus de Kiev : le centre de l’État se déplace vers le nord

Après une apogée sous Iaroslav le sage qui noua de nombreuses relations diplomatiques et dont la petite fille Anne épousa le roi Henri I de France,
la région de Kiev, épine dorsale d’un circuit commercial, tombe progressivement en désuétude alors que le commerce en Méditerranée redevient florissant au XIIe siècle. Le Dniepr et la Volga voient leur trafic diminuer.

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De plus, l’unité de la Rus de Kiev, brièvement trouvée, est fragilisée et l’Etat se divise finalement en une douzaine de principautés qui luttent pour la primauté. La seconde moitié du XIIe siècle voit l’essor des principautés indépendantes qui se perpétueront jusqu’au XVIe siècle. Par ailleurs, les princes sont de plus en plus attirés par le nord, où ils vont essayer de déplacer le centre de gravité du pays.

Youri Dolgorouki crée une principauté indépendante à Souzdal en 1125, la Moscovie, et fonde Moscou en 1158. Cependant la capitale reste Kiev. Puis son fils André s’établit à Vladimir, près de Souzdal et la Moscovie devient alors le nouveau centre de gravité de la Russie, aux dépens de Kiev, qui est progressivement abandonnée.

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Ce déplacement du centre de la Russie est à la source de la création de trois grands espaces dont les frontières ne vont cesser de changer au fil des siècles. Etant donné que la région de Kiev s’est vidée de sa population et que le centre se trouve dorénavant au nord, on considère que la ville est  » aux confins « , ce qui se traduit littéralement en russe par l’expression  » y-kraïna « , qui donna, en un mot,  » Ukraïna « , c’est-à-dire Ukraine en français. On l’appelle aussi la petite Russie ou la Russie noire, à cause de sa terre sombre. Par opposition à cette petite Russie, la principauté de la Moscovie devient la Grande Russie.

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Quant au territoire se trouvant au nord de l’Ukraine, il est nommé (en référence aux troncs blancs des bouleaux qui recouvrent ses immenses forêts) : la Russie blanche, belaya Rossia, qui en un seul mot donne Bielorussia, c’est-à-dire la Biélorussie. Mais morcelée, la Russie faiblit devant les envahisseurs.

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Période la plus sombre de l’histoire de la Russie : le joug mongol

Pendant ce temps, l’Asie est en train de connaître un grand bouleversement. Temuchin Bagatur, chef d’une tribu mongole, unifie les peuples mongols et conquiert la Chine en moins de dix ans.Il prend alors le titre de Maître du monde  » Gengis Khan  » et se lance alors à l’assaut de l’ouest de l’Oural.

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Son petit-fils Batou Khan saccage Moscou et s’empare de Vladimir, de Souzdal et de Kiev en 1240, époque à partir de laquelle on date le début de la domination tatare en Russie.

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Ces combattants ont marqué les imaginaires russes et autres. En quoi consiste le mythe de ces vaillants cavaliers ? Leur réputation d’invincibilité est liée à plusieurs facteurs. D’abord, leurs chevaux ont appris à trouver de l’herbe sous la neige : ils peuvent donc guerroyer l’hiver. Ils tiennent par ailleurs plusieurs poneys à la longe, ce qui leur permet d’augmenter considérablement leur vitesse et leur endurance. Ils portent aussi des gilets de soie sauvage directement sur le corps, ce qui fait que lorsqu’ils sont touchés par une flèche, ils peuvent l’enlever en l’enroulant dans le tissu, sans se blesser. Leur stratégie consiste enfin à faire courir le bruit de leur victoire avant même d’avoir combattu, afin de démoraliser l’adversaire.
Alors que Batou Khan s’est rendu maître d’une grande partie de la Hongrie, de la Roumanie et de la Pologne, il s’apprête à foncer sur l’Europe, quand il apprend la mort de son oncle dans la capitale mongole de Karakorum et décide de faire demi-tour afin de participer à la bataille des héritiers. Quand Batou Khan rentre à Karakorum en 1241, il laisse ses conquêtes à Saraï, près de l’actuel Volgograd. C’est la fameuse Horde d’or qui deviendra le symbole du régime tatar. En quoi consiste la domination tatare ? Elle se matérialise principalement par des taxes à payer. Par ailleurs, les princes russes conservent une grande autonomie, mais ils doivent se rendre à Saraï, la capitale du khanat de la Horde d’or, pour recevoir leur titre, ce qui est vécu comme une épreuve humiliante.

Cette période voit l’affirmation de Moscou, dont les princes réussissent à obtenir des khans de la Horde d’or la mission de collecter les impôts. Moscou se voit aussi chargée de se battre contre les villes ennemies des Tatars. Cela augmente progressivement son assise politique. Plus tard, c’est le grand-prince Dimitri de Moscovie qui lance une grande bataille contre les Tatars, qu’il bat à Koulikovo en 1380. Il s’agit d’un événement phare dans l’histoire de la Russie, car il marque le déclin de l’Empire tatar qui va aller en s’accélérant tout au long du XIVe siècle. Les Tatars se déplacent au sud du Don où ils créent le khan d’Astrakhan.

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Ce joug a des conséquences de très grande ampleur sur le destin de la Russie. Etant donné que les Tatars, convertis à l’Islam au début du XIVe siècle, n’interfèrent pas du tout dans la religion, l’orthodoxie devient un très grand facteur d’unité pour la population et le signe du fondement de la nation au moment même où celle-ci s’émiette politiquement et prend la forme de différentes principautés. L’Eglise orthodoxe est aussi une des seules façons de rester en contact avec Constantinople et la Méditerranée.

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Par ailleurs, pendant les 250 ans de joug tatar, la Russie est complètement coupée de l’Europe qui est en train de connaître un véritable renouvellement culturel et artistique : la Renaissance.

Aussi, pour certains historiens, cette période explique le retard de la Russie par rapport à l’Europe et le besoin constant des dirigeants de vouloir rattraper ce retard par la suite. Le destin de la Russie est en effet scellé : coupée de l’Occident, son histoire est vouée à être autre, ni européenne ni asiatique. La Russie cherchera à trouver une troisième voie. Aussi, ce joug a-t-il laissé un souvenir effroyable dans les esprits. Les Russes le considèrent comme la période la plus sombre et la plus humiliante de l’histoire de leur pays. Il est aussi vécu comme une injustice, car le déferlement tatar s’est arrêté aux portes de l’Europe, et la Russie a été en quelque sorte sacrifiée, tandis que l’Europe est restée indifférente.

Les premiers tsars : la principauté devient empire

Durant la période tatare, la Rus s’est morcelée en différentes principautés dont une, Moscou, s’est davantage développée de par sa position et le prestige des princes qui l’ont gouvernée. Mais Moscou n’est encore qu’une principauté à l’intérieur de la Rus. A partir du XVe siècle, deux phénomènes vont se produire parallèlement et modeler l’image de la Russie actuelle. Les princes de Moscovie vont s’affirmer, se faire sacrer tsar et, par leurs titres et leurs conquêtes successives, agrandissant le territoire comme une tache d’huile, ils vont faire de la Russie un empire. C’est donc à partir de Moscou que l’on passe de la principauté à l’Empire.
En 1480, Ivan III dit Ivan le Gand, est le premier prince à refuser toute allégeance à la Horde d’or. Il libère définitivement la Russie du joug mongol et consolide la Moscovie en annexant les principautés de Iaroslav, Perm, Novgorod, Tver et Pskov. Moscou devient seule héritière de la Rus de Kiev. Par ailleurs, Ivan III fait des recherches généalogiques et se découvre un ascendant en la personne de l’Empereur romain Auguste et s’octroie dès lors le droit de prendre le titre de Caesar, qui, par une adaptation à la langue russe, donne tsar. Etant donné que l’empire de Rome et celui de Constantinople sont tombés, il déclare Moscou  » troisième Rome « , c’est-à-dire porteuse des valeurs chrétiennes. Il fait venir des architectes pour décorer la ville. Il épouse Zoe Paléologue, nièce de l’empereur de Byzance Constantin IX.

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Son fils Ivan IV est passé à la postérité sous le nom d’ Ivan le Terrible. Marqué très jeune par l’assassinat de sa mère par les boyards, il garde contre eux une haine farouche et un désir de vengeance. Il obtient le premier le titre de  » tsar de toutes les Russies « . Il épouse la fille d’un boyard, Anastasia Romanov, qui meurt prématurément d’une crise d’apoplexie après lui avoir donné six enfants. Dans un accès de paranoïa, il accuse les boyards et obtient le droit de vie et de mort sur ses sujets.

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Le jour même, il fait empaler un éminent boyard et décapiter un autre. C’est alors le début d’un règne de terreur qui dure jusqu’à sa mort. L’instrument de sa terreur est l’opritchina, une police secrète, servant à imposer ses mesures répressives et que ses successeurs continueront à utiliser. Les membres de l’Opritchina sont restés gravés dans les imaginaires : vêtus de noir, ils montent des chevaux noirs et portent au bout d’un bâton une tête de chien décapitée pour symboliser leur fonction d’épuration.

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Par ailleurs, Ivan le Terrible réforme le code agraire, en attachant les paysans à leur terre et installe ainsi le début de ce qui sera un terrible fléau pour la Russie : le servage. Sous peine de mourir, aucun paysan ne doit fuir. Malgré cela, de nombreux paysans préfèrent la fuite au servage. Beaucoup partent vers le nord où, avec des esclaves en fuite et des aventuriers, ils constitueront plus tard ce que l’on appelle les Cosaques.

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Par ailleurs, grâce à ses conquêtes, Ivan le Terrible ouvre la voie à la constitution d’un véritable empire. Il s’attaque tout d’abord au reste de l’empire mongol. En 1552, il conquiert le khanat de Kazan sur la haute Volga. Pour célébrer sa victoire, il fait construire la cathédrale de Saint-Basile-le-Bienheureux à Moscou. Grâce à la conquête d’Astrakhan en 1556, il devient le maître de toute la Volga, de Moscou à la mer Caspienne. Ces campagnes l’amènent à s’intéresser à la Sibérie. C’est une famille de marchands, les Stroganov qui se verront confier cette mission. Ce sont le fameux Yermak et ses hommes qui s’en acquitteront.
Mais les velléités d’Ivan vers la Baltique se soldent par un échec, car les chevaliers teutoniques bloquent tout accès. Ivan a posé les jalons de l’empire. Mais après lui, les troubles commencent.

Le Temps des troubles (1604-1613) et le début de la dynastie des Romanov

A la mort d’Ivan le Terrible qui avait tué son ainé, son fils Fédor, simple d’esprit, règne en s’appuyant principalement sur ses conseillers. Quand il meurt en 1598, c’est le début de la période du « Temps des troubles« ; la dynastie des Riourikides, commencée par le Varègue Riourik qui avait le premier unifié les peuples slaves, s’éteint.

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C’est son beau-frère Boris Godounov qui prend sa succession. Malgré un début de règne brillant qui ouvre le pays à l’étranger, Boris se voit vite opposer la résistance des fameux boyards, qui lancent la rumeur selon laquelle il aurait assassiné Dimitri, le fils d’Ivan le Terrible, mort dans des circonstances mystérieuses. C’est alors que se produit un événement dont seule l’histoire russe est capable : en 1604, un homme à la tête de Cosaques et de soldats polonais se présente à la cour de Russie et feint d’être le fameux Dimitri. Pour les boyards, l’occasion est trop belle. Commence alors ce qui a été appelé  » le temps des troubles « . A la mort de Boris Godounov, Dimitri est couronné tsar. Il est en réalité soutenu par les Polonais qui souhaitent secrètement annexer le pays et convertir ses habitants au catholicisme. Il est finalement tué par les boyards qui choisissent l’un d’entre eux pour régner, Chouïski, qui voit à nouveau se manifester un deuxième faux Dimitri. Les Polonais interviennent. Chouïski abdique. Des boyards s’entendent avec la Pologne pour nommer tsar Ladislas, le fils du roi de Pologne.

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C’est alors un boucher de Nijni-Novgorod, Minine, qui organise une résistance à ce pouvoir étranger.

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Ensemble ils marchent sur Moscou, faisant capituler la garnison polonaise. Comme durant le joug mongol, l’Eglise orthodoxe est à nouveau appelée à jouer un rôle de réveil national car les chefs de l’Eglise lancent un appel à la population contre l’étranger. Aussi le patriotisme s’enracine-t-il progressivement et devient une valeur fondamentale de l’orthodoxie, tandis que celle-ci devient la gardienne et le refuge de l’essence de la nation russe ainsi que le symbole de la résistance contre l’oppresseur étranger.

Un zemski sobor (assemblée populaire instituée par Ivan le Terrible) choisit pour tsar Michel Romanov en 1613. Il inaugure la dynastie des Romanov appelée à régner jusqu’en 1917.Il s’agit alors d’un jeune boyard de 17 ans, petit neveu de la première femme d’Ivan le Terrible qui était en retraite au monastère d’Ipatiev.

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Son fils Alexeï lui succède. En fervent chrétien, il introduit au Kremlin une grande piété. Son règne est marqué par le schisme des vieux-croyants

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et par des révoltes paysannes, dont la plus connue est celle de Stenka Razin qui, à l’aide de son armée de Cosaques, s’empare en 1670 de la région située entre la Volga et le Don. Cette révolte, qui ne sera pas la dernière de l’histoire russe, est écrasée dans le sang, et Razin est exécuté sur la place Rouge. Il restera un héros populaire.

Le XVIIIe siècle : bouleversement pour la Russie qui s’ouvre sur l’Europe

Les deux tsars les plus marquants de la dynastie Romanov sont incontestablement Pierre Le Grand, qui règne de 1682 à 1725, et Catherine II qui règne de 1762 à 1796. Conscients du retard de la Russie par rapport au reste de l’Europe, ils œuvrent tous deux pour une ouverture de la Russie sur l’Occident, voyant dans le modèle européen le meilleur moyen de faire de la Russie une nation progressiste.

Alors que l’Europe a connu la Renaissance, la Russie fonctionne encore selon des structures médiévales ; aussi Pierre le Grand se donne-t-il pour mission de l’arracher au Moyen Age et de la tourner vers les lumières de l’Europe. Sa demi-soeur, Sofia, fomente un complot avec l’aide des streltsy (régiment de mousquetaires) et réussit à éloigner son jeune frère du pouvoir. Il est envoyé dans un relais de chasse proche de Moscou, Preobrazhenskoye. C’est là que vont se développer ses passions : la guerre, l’Europe et la marine. En 1689, il se débarrasse de Sofia et reprend le pouvoir.

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Il décide alors de voyager pendant un an en Europe, ce qui ne manque pas de choquer, car aucun tsar n’a jamais quitté la Russie. Il rentre avec une idée principale en tête, celle de construire une marine moderne, ce qui nécessite d’obtenir un morceau de la Baltique. Raison pour laquelle il passera tout son mandat à se battre contre la Suède, à laquelle il réussit à arracher la région de la Carélie, l’Estonie et la Lettonie. Il entreprend donc de construire un port au niveau du golfe de Finlande, à l’embouchure de la Néva, afin d’ouvrir  » une fenêtre sur l’Europe « . C’est là qu’il construit en 1703 la ville de Saint-Pétersbourg qu’il dote de tous les attributs d’une ville européenne : palais, ministères de style occidental, musées, université et bibliothèque.

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En 1712, il transfère la capitale à Saint-Pétersbourg. Signe de l’occidentalisation de son pays, il impose aux boyards de couper leur barbe et de porter des vêtements européens. D’ailleurs, sous son règne, les boyards disparaissent, remplacés par des fonctionnaires.
Pierre Ier demeure le symbole du tsar qui a cherché dans le modèle occidental l’ultime recours pour faire avancer la Russie de gré ou de force, dans le but de faire de son pays la première puissance européenne.
Il impulse donc à la Russie une direction nouvelle, l’Ouest, orientant ainsi toute l’histoire russe qui va suivre. En effet, les dirigeants qui lui succèderont resteront fidèles à cette politique. La cour va continuer à s’occidentaliser, au point d’être coupée de la masse paysanne. A cette époque, le terme de Russie supplante celui de Moscovie.

Catherine la Grande (1762-1796) est certainement la tsarine la plus marquante de l’histoire de la Russie. Originaire de la petite aristocratie allemande, elle arrive en Russie à l’âge de quinze ans. Mariée au petit-fils de Pierre le Grand, elle réussit à intriguer contre lui pour l’écarter du trône. Elle entreprend alors de construire un empire qui par sa taille doit dépasser les empires romains et byzantins.

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Consciente comme Pierre du retard de son pays, Catherine est bien décidée à le transformer. Aussi décide-t-elle de l’ouvrir au monde des idées qui fleurissent à l’ouest à cette époque-là : la philosophie des Lumières. Elle correspond avec Voltaire et fait venir Diderot à sa cour. Ainsi l’influence française se propage-t-elle avec son cortège d’idées progressiste

Son règne est marqué par un bouillonnement culturel. Elle ouvre des pensions pour jeunes filles, codifie les lois, réforme l’enseignement primaire et les administrations locales, fonde des hôpitaux et des orphelinats. Elle invite aussi les meilleurs architectes en Russie et c’est durant son règne que Saint-Pétersbourg acquiert sa beauté classique. Mais la question problématique du servage ne cesse d’augmenter, provoquant l’une des révoltes paysannes les plus célèbres de l’histoire : la révolte de Pougatchev, immortalisée dans le chef-d’œuvre de Pouchkine, La Fille du capitaine (1836). Pougatchev est un déserteur cosaque qui se fait passer pour Pierre III, le mari que Catherine a écarté du pouvoir. Prenant la tête d’un immense mouvement paysan, il réussit à soulever une grande partie du territoire et le pays manque d’imploser. Mais, livré par ses hommes, le meneur sera exécuté sur la place Rouge.
Avide de conquête, Catherine continue à étendre son empire. Elle s’empare de la Lituanie, de la Biélorussie, de l’Ukraine occidentale et elle se partage la Pologne avec Frédéric de Prusse. Sa conquête la plus importante est la Crimée qui lui permet d’ouvrir à la Russie un débouché sur la mer Noire, quand Pierre le Grand lui en avait ouvert un sur la mer Baltique. Elle se lance par ailleurs dans l’exploitation de la Sibérie avec ses fourrures et ses minerais. Mais à la fin de son règne, effrayée par la Révolution française, Catherine ferme subitement son pays aux idées nouvelles. Tout un symbole : le buste de Voltaire disparaît de l’Ermitage.
Aussi les Russes aiment à dire :  » Pierre a donné un corps à la Russie et Catherine lui a donné une âme. « 

Son fils, Paul Ier, déteste sa mère et veut détruire son oeuvre. Il met en place une dictature, mais il est assassiné par les partisans de son fils Alexandre.

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Le XIXe siècle : entre libéralisme et réaction, développement d’un groupe

Le XVIIIe siècle a vu l’ouverture de la Russie aux idées des Lumières. Le XIXe siècle voit la naissance en Russie d’une population éclairée et de la première intelligentsia, inspirée par des idées venues d’Europe. Après la philosophie des Lumières, les intellectuels russes s’intéressent au socialisme. Tandis que tous les dirigeants du siècle hésitent entre politique libérale ou fermeture, à l’image du règne de Catherine, éclot à l’extérieur de la Russie, l’embryon d’un mouvement révolutionnaire qui attend l’étincelle pour s’enflammer.

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Le règne d’Alexandre Ier (1801-1825) est presque entièrement occupé par l’invasion de Napoléon . Malgré la paix conclue avec les Français à Tilsit en 1807, Napoléon envahit la Russie et se trouve à Moscou en 1812. Dans un élan de ferveur patriotique, ses habitants préfèrent incendier leur ville plutôt que de la livrer à l’ennemi. Aussi la retraite de Napoléon est-elle immédiate et les troupes russes vont même jusqu’à l’  » accompagner  » à Paris en 1814. A la fin du règne d’Alexandre Ier, un nouvel état d’esprit règne en Russie car l’aristocratie russe a voyagé et elle est entrée en contact avec les idées de la Révolution française. Par ailleurs, les jeunes officiers ont pérégriné dans toute l’Europe et se sont rendu compte du retard des campagnes russes par rapport à l’Allemagne ou à la France. Ils rentrent en Russie et créent des cercles de pensée. C’est la première tentative en Russie d’une pensée libre et d’une réflexion politique.

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Après la mort subite d’Alexandre en 1825, ces sociétés vont profiter du court interrègne pour essayer de prendre le pouvoir sous la forme d’une insurrection, connue sous le nom de révolte des décabristes. Le jour où l’armée est censée prêter serment au nouveau tsar Nicolas Ier, les conspirateurs mènent leurs troupes sur la place du Sénat à Saint-Pétersbourg et se retrouvent face à celles du gouvernement. Après des pourparlers qui durent toute la journée, les premiers coups de feu sont tirés le soir et se terminent par l’échec de la révolte des insurgés. Tous les conspirateurs sont arrêtés et certains seront interrogés par Nicolas Ier en personne. Les dirigeants sont exécutés et les autres déportés en Sibérie. C’est un événement clef de l’histoire de la Russie : avant cette date, les coups d’Etat sont menés pour mettre un souverain à la place d’un autre. Pour la première fois, les participants veulent changer le régime et lui donner une constitution. Ils estiment que la Russie peut avoir sa place dans le cercle des nations européennes et veulent pour cela remplacer l’autocratie par une république constitutionnelle.

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Le successeur d’Alexandre, Nicolas Ier reste marqué pendant tout son règne (1825-1855) par la révolte des décabristes et n’aura de cesse de lutter contre toute idée révolutionnaire.
Pour appuyer ses idées, il renforce la police dans tous les gouvernements et pour étouffer toute velléité révolutionnaire, il crée une police secrète, la Troisième section, qu’il gouverne d’une main de maître. Il s’appuie sur trois notions pour gouverner :  » nationalisme, orthodoxie, autocratie « .
La vague révolutionnaire qui déferle en Europe en 1848 incite le tsar à s’introniser  » gendarme de l’Europe « . Il intervient là où la monarchie est menacée, comme en Hongrie par exemple. Par ailleurs, le tsar essuie un lourd échec en Crimée contre la France et l’Angleterre. En effet, il s’oppose à la Turquie pour le contrôle des détroits de Bosphore. Aussi la France et l’Angleterre interviennent-elles du côté turc pour s’assurer de maintenir le libre passage des navires dans cette zone. Après un long siège, les Russes doivent abandonner la base navale de Sébastopol en 1854 et la Russie perd le contrôle du détroit du Danube.

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Le règne d’Alexandre II (1855-1881) marque la fin d’une époque en Russie. Convaincu que l’échec en Crimée est lié au retard de la Russie, il décide d’abolir le servage en 1861 (la Russie est le dernier pays d’Europe à adopter cette mesure). Mais cela ne provoque pas l’effet escompté. De plus, Alexandre II mène beaucoup de réformes libérales, il crée des hôpitaux et des écoles primaires. La censure se fait moins sévère et les débats d’opinion sont possibles.

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Parallèlement, les jeunes idéalistes de la période précédente sont remplacés par une jeunesse fanatique qui entre en effervescence dans les universités et radicalise complètement sa révolte, au sens révolutionnaire du terme. Après une tentative d’assassinat manquée contre Alexandre II en 1866, beaucoup d’étudiants se rendent en Angleterre, en Suisse et en France, où ils prennent connaissance des thèses socialistes et marxistes de Marx et de Bakounine. Aussi, cette jeunesse qui agit au nom d’un avenir radieux, mythique et flou, est-elle convaincue de la légitimité de l’attentat à but politique. Alexandre II est finalement assassiné lors d’un attentat en 1881. Le tsar au visage libéral mort, ses successeurs vont revenir à l’autoritarisme.

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Le règne d’Alexandre III (1881-1894) commence de façon très brutale par des exécutions suite à l’assassinat d’Alexandre II. Luttant contre toute idée révolutionnaire, Alexandre III renforce la censure. Surtout, il comprend le retard de la Russie face à l’Europe et décide de faire entrer le pays dans l’ère industrielle.

Nicolas II et la fin de l’empire tsariste

Le règne de Nicolas II (1894-1917) marque la fin de l’empire tsariste.

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En 1905, le pays perd une guerre contre le Japon. Cet événement est vécu comme une grande humiliation pour la population.

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Par ailleurs, les difficultés économiques incitent la population pétersbourgeoise à se soulever en organisant une marche vers le Palais d’hiver. Les gardes rouges tirent alors sur la foule. Ce jour restera dans les esprits comme un  » dimanche sanglant « , en même temps qu’il marquera le début de la perte de légitimité du tsarisme. Lénine, lui, y verra une répétition générale de la révolution de février 1917. En effet, en l’espace de quelques jours, tout le pays se met en grève et une nouvelle forme de comité de travailleurs, les soviets, se constitue dans la capitale et dans toutes les principales villes de Russie.

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Après quoi le tsar est obligé de faire une concession démocratique en instituant la Douma, une mascarade de Parlement, qu’il ne consultera jamais. Pendant ce temps, le pays se transforme profondément. Avec la naissance de l’industrialisation, un prolétariat est en train de se constituer. Mais avec des conditions de logement difficiles, dans des villes qui ne sont pas équipées pour recevoir tous ces nouveaux venus, les ouvriers expriment leur mécontentement.

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Ces revendications vont alors être entendues et soutenues par un parti tout nouvellement constitué, le parti social-démocrate. C’est la rencontre entre ce parti politique et le prolétariat naissant qui va créer les conditions favorables à la révolution d’Octobre 1917. Pendant ce temps-là, le parti social-révolutionnaire, héritier du populisme, prend en charge les revendications des paysans.
Pour essayer de remédier à cette montée de mécontentement, Nicolas II nomme en 1906 un nouveau Premier ministre, Stolypine, qui pour lutter contre les attentats terroristes établit des cours martiales et, pour résoudre la question agraire, décide de démanteler la communauté rurale et de redistribuer les terres. Mais en 1911, il est assassiné. La Russie sombre alors dans le chaos.

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Le tsar lui, ne voit pas les changements en train de s’accomplir. Il reste complètement déconnecté de la situation réelle du pays et préfère s’en remettre à son ministre mystique Raspoutine. Cela a le don d’exaspérer encore davantage la population. Le tsar, qui depuis Ivan le Terrible jouissait d’un visage paternel, perd tous ses attributs. Le divorce entre le tsar et le peuple est consommé. Il ne manque plus qu’un événement pour que le mouvement révolutionnaire explose. Ce sera la guerre de 1914. Entraînée dans ce combat pour soutenir la Serbie, peuple frère, contre l’Autriche, la Russie est bientôt confrontée à ses faiblesses structurelles : l’approvisionnement est rendu très difficile à cause de problèmes de transport. La population des villes n’étant plus ravitaillée, elle décide de se soulever à Saint-Pétersbourg en février 1917 pour obtenir du pain.
L’armée se range à ses côtés. Devant cette situation irréversible, la Douma forme un gouvernement provisoire et le 15 mars, le tsar abdique en faveur de son frère Michel qui renonce lui-même au trône. En marge de l’oscillation des tsars entre autoritarisme et libéralisme, le XIXe siècle aura créé les conditions nécessaires à l’introduction en Russie d’une pensée, puis d’un mouvement révolutionnaire, qui, pour la première fois dans l’histoire, va être porté au pouvoir.

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La fin de l’Empire : le pouvoir, un fruit mûr qu’il faut savoir cueillir

Lors de la révolution de février 1917, l’impossible est devenu possible : abattre l’Ancien Régime, éliminer les cadres de la société, instituer un gouvernement populaire. Il faut construire une société fondée sur la science et l’égalité de tous. Dans l’esprit des bolcheviks, il s’agit de mettre fin à l’arbitraire du pouvoir, cette  » nef de fous  » comme la qualifiait Lénine, et de reconstruire une société basée sur des connaissances scientifiques.
Cette révolution devait mettre fin aux inégalités sociales. La destitution du tsar et son assassinat sont pour la Russie l’avènement d’une nouvelle donne politique et économique : le pouvoir n’a plus rien de divin. Bien au contraire, il se veut à l’opposé du mysticisme tsariste et entièrement fondé sur le rationnel. Ce système repose principalement sur une théorie économique : le socialisme, qui consiste à centraliser la production économique dans un souci d’efficacité.
En effet, au moment où se produit la révolution, la Russie est très en retard économiquement par rapport aux autres pays. On peut voir dans la période de Lénine et de Staline, jusqu’en 1953, la mise en place d’un système économique socialiste, et à partir de 1953 jusqu’en 1985, la remise en cause de ce système.

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1917 : lutte entre le pouvoir officiel et les Soviets

A partir de février 1917, un gouvernement provisoire se met en place qui promeut une république bourgeoise.                                                                            Sur le plan intérieur, Kerenski, Premier ministre à partir de juillet, mène une politique attentiste. La guerre, cet élément déterminant qui a provoqué la révolution de février, se poursuit. Le mécontentement du peuple continue donc d’augmenter. Parallèlement à ce gouvernement officiel, un autre pouvoir s’organise : celui des Soviets. Ces regroupements de soldats et d’ouvriers se propagent dans différentes villes du pays en suivant le modèle de Petrograd.

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Ainsi le chaos continue de régner dans le pays tandis que le ravitaillement en nourriture fait toujours défaut. Surtout, depuis la fin du tsarisme, le gouvernement provisoire manque de légitimité, laquelle s’amenuise de jour en jour.

Retour de Lénine : impulsion et prise de pouvoir

Affiche avec Karl Marx, Friedrich Engels et Lenine, "Vive le Marxisme-LÈninisme".

Pendant ce temps, Vladimir Ilitch Oulianov Lénine, que l’on pourrait qualifier de révolutionnaire professionnel, rentre de son exil en Suisse et prend la tête du mouvement bolchevik.

Il profite du chaos général pour lancer ses thèses d’avril qui vont être le déclic de la révolution d’Octobre. Si Lénine a toujours cru à la révolution socialiste, la révolution de février l’a surpris. Par rapport aux autres chefs de mouvements qui sont alors en lutte pour le pouvoir dans le pays (mencheviks, socialistes révolutionnaires, démocrates constitutionnels, libéraux, monarchistes), Lénine a un atout considérable qui fera la différence et bouleversera la destinée du pays : il croit que la révolution est possible tout de suite.
Aussi, alors que le gouvernement provisoire galvanise les mécontents, Lénine lance en avril 1917 ses fameuses thèses d’avril : il faut arrêter la guerre qui n’est plus supportable pour la population, partager la terre avec les paysans comme ceux-ci le souhaitent depuis longtemps et surtout, mettre tout de suite en oeuvre la révolution socialiste en passant à une république des Soviets qui donne le pouvoir aux ouvriers. Ainsi, la particularité des bolcheviks, sous l’impulsion de Lénine, est de former un groupe de révolutionnaires professionnels dont l’unique obsession est de prendre le pouvoir.
Tandis que l’autorité du gouvernement provisoire se désagrège progressivement, il n’est alors pas difficile pour ce petit groupe de prendre le pouvoir à l’automne 1917 : le 6 novembre, des détachements d’ouvriers et de soldats commandés par Trotski entrent dans le siège du gouvernement provisoire, le Palais d’hiver de Petrograd.

Ce qui est passé à la postérité comme la  » révolution d’Octobre  » n’est rien d’autre qu’un coup d’Etat, réalisé par une poignée de  » révolutionnaires professionnels  » formés et dirigés par Lénine. Le pouvoir était alors un fruit mûr qui ne demandait qu’à être cueilli. Aussi, l’une des clefs de l’histoire russe réside-t-elle dans l’existence d’un groupe structuré, discipliné et animé par un chef dont le désir de pouvoir tourne à l’obsession.

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La guerre civile de 1918 à 1921 ou la légitimation du pouvoir

Les Russes en guerre ont accueilli avec passivité et indifférence l’arrivée des bolcheviks au pouvoir. Mais bientôt, les opposants de toutes sortes se réveillent et tentent de s’organiser. Ils déclenchent une guerre civile. Les blancs (monarchistes et antibolcheviks) reçoivent l’appui d’armées étrangères. Trotski organise une armée rouge.

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Pour affronter ses ennemis intérieurs, les dirigeants se désengagent de la guerre en signant la paix de Brest-Litovsk et en acceptant les exigences énormes de l’Allemagne : ils perdent les pays Baltes et la Pologne. Aussi peuvent-ils assurer leur pouvoir à l’intérieur et diriger un mouvement communiste international avec la création de la IIIe Internationale, le Komintern, créé en mars 1919.

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Pour l’emporter, le pouvoir bolchevik doit s’imposer par la force et donc revenir sur de nombreuses concessions. Il dissout l’Assemblée constituante qui avait été mise en place, car elle est hostile au nouveau pouvoir ; il met en place le communisme de guerre et crée une police politique pour lutter contre toute opposition. La presse est muselée, les partis bourgeois sont interdits. Alors qu’en octobre 1917, les bolcheviks avaient accordé aux paysans ce qu’ils réclament depuis longtemps, à savoir la possession des terres, on vient réquisitionner de force leurs récoltes pour les envoyer en ville. Dès novembre 1918, la première étape vers une économie dirigée a été franchie avec la mise en place d’un système de distribution de produits sous contrôle de l’Etat.

 

S’adapter aux nécessités avant le socialisme : la NEP (1921-1924)

Alors que l’idée première des bolcheviks est d’exporter la révolution, ils doivent se résoudre à cette impossibilité et décident de se concentrer sur la construction du socialisme dans un seul pays. En 1921, le pays sort complètement ruiné de six années de guerre, aussi Lénine, assez pragmatique, décide t-il de faire une pause dans l’instauration du socialisme. Il crée la NEP, nouvelle politique économique commune, afin de permettre au pays de se reconstruire économiquement. Il autorise le développement d’un secteur privé dans la petite industrie et le commerce de détail. Les paysans peuvent ainsi garder une petite partie de leur production. Sur le plan économique, c’est un grand succès. Après les famines de 1921 et 1922, le pays se relève. Cette NEP permet l’enrichissement d’une petite partie : chez les paysans, on les appelle koulaks (Staline se servira de cette dénomination pour désigner les ennemis à abattre dans les années 1930) et dans l’industrie ce sont les nepmen.

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Création de l’URSS sur les décombres de l’Empire tsariste

Au début du XXe siècle, l’expansion constitutive de l’empire russe est à peu près achevée. Cet empire s’étend, d’est en ouest, du Grand-duché de Varsovie à l’océan Pacifique et, du nord au sud, de la mer Baltique à la Transcaucasie. Il s’étend aussi sur une partie de l’Asie centrale. Dans la confusion de l’année 1917, cet empire commence à se disloquer : les peuples non russes affirment leur souveraineté. Cela conduit à un mouvement pour l’indépendance de la Finlande (décembre 1921), de l’Ukraine (janvier 1918), de l’Estonie et de la Lituanie (février 1918), de la Géorgie, de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan (mai 1918), de la Pologne (octobre 1918) et de la Lettonie (novembre 1918). Il s’agit alors pour les dirigeants bolcheviks de rétablir une unité. C’est dans cette optique qu’est créée en 1922 l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS), premier succès d’une reconquête impériale, avec notamment l’intégration de la Transcaucasie et de l’Ukraine. Cette union s’oppose au camp capitaliste où règne  » l’esclavage colonial et le chauvinisme « , alors qu’en URSS règnent  » la coexistence pacifique et la collaboration fraternelle des peuples « .

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Les années 1930 : le grand tournant

Lénine meurt prématurément en 1924. Une lutte de pouvoir s’engage entre Trotski et Staline qui sont en désaccord sur de nombreux points. Alors que Trotski veut poursuivre la théorie de la révolution permanente et continuer à essayer de l’exporter, Staline lui est pour la construction du socialisme dans un seul pays. C’est en 1926 que l’URSS abandonne son projet de révolution mondiale au profit de la construction du socialisme dans un seul pays.

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Par ailleurs, l’un des problèmes principaux de la Russie est son retard industriel. Lors de la révolution de 1917, le pays est encore majoritairement agricole. Il est donc nécessaire de l’industrialiser. L’industrialisation a commencé dans les années 1880 avec le ministre Witte. Mais la guerre a tout détruit. Aussi faut-il tout reprendre depuis le début. Les dirigeants s’opposent sur deux points. Cette industrialisation doit-elle être financée en réquisitionnant de force la production agricole pour parvenir à une industrialisation rapide ? Ou bien, faut-il laisser les paysans s’enrichir et retarder cette industrialisation ? Jusque-là, la deuxième solution a prévalu, notamment durant la NEP.

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Dès son arrivée au pouvoir, Staline décide d’engager le pays dans la première voie : l’industrialisation à outrance. Cela commence par la collectivisation forcée des terres, justifiée idéologiquement par l’idée qu’il faut éliminer les paysans enrichis, les koulaks. Parallèlement se met en place une industrialisation mettant l’accent sur l’industrie lourde, au détriment de l’industrie légère et des biens de consommation. La particularité de cette économie est d’être une économie dirigée. Car le stalinisme c’est avant tout l’instauration d’une économie complètement nouvelle, qui s’oppose au système capitaliste. La grande dépression de 1929 qui s’abat sur l’Occident servira d’argument corroborant la thèse de Staline. Les autorités soviétiques vont opposer le principe de la planification au désordre de l’économie de marché.

Cette planification passe par une nationalisation de la terre et des usines afin de rationaliser la production et donc de la rendre plus efficace. Il faudra plusieurs années pour que cette planification s’incarne dans les institutions et dans la pratique. Des organismes appropriés sont mis en place, comme le Conseil de l’économie nationale en 1918 et le Gosplan en février 1921.

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La création de ces organismes va réunir les mécanismes économiques de l’Etat en une seule et même machine, un unique organisme économique qui marquera l’instauration décisive du socialisme de type soviétique. La planification va être le principe directeur de la politique stalinienne. Elle a en plus un aspect psychologique déterminant. Il existe une mystique du plan qui s’apparente à une conquête révolutionnaire ; il faut toujours être au  » poste de combat « . Une terminologie guerrière se développe ainsi, contribuant à créer une économie de guerre avec une mentalité de guerre.
Ainsi de 1928 à 1934 le premier plan quinquennal est lancé. Les ouvriers deviennent de véritables combattants et le vocabulaire industriel est militarisé. On trouve en Russie des  » brigades de choc « , des udarniki et des stakhanovistes. Par ailleurs, un gros effort est fait pour vaincre l’analphabétisme. Dès 1932, la quasi-totalité des enfants sont scolarisés.

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La vie soviétique : difficulté et terreur
Cependant, la vie reste difficile. La population manque de biens de consommation. Les files d’attente s’allongent pour des biens souvent inexistants. Le pays manque de logements et beaucoup de familles habitent dans des appartements communautaires.
Pour entretenir son autorité, Staline s’appuie sur trois choses : la terreur, le culte de la personnalité et la propagande. A partir de 1934, le NKVD, qui deviendra le KGB en 1954 (comité pour la sécurité d’Etat), contrôle la population.

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La même année, les purges commencent avec l’élimination des gens du Parti. Des millions de russes sont envoyés dans des camps de concentration : les goulags. Les détenus, les zeks, sont soumis à des travaux pénibles et utilisés comme main-d’oeuvre gratuite. En 1936, Iejov est nommé commissaire à l’intérieur, ce qui marque le début de la grande répression. Une époque restée dans les mémoires sous le nom de Ejovchina. Fondée sur la théorie du complot et du sabotage, cette méthode permet de nourrir la peur au sein de la population pour l’inciter à dénoncer les  » ennemis « . Durant ces années, l’opinion publique est inexistante en Russie. La société est de plus en plus atomisée.
Le troisième plan quinquennal est interrompu par la Seconde Guerre mondiale. Reste que cette industrialisation a fait de l’URSS la troisième puissance mondiale.

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La Seconde Guerre mondiale

A l’extérieur, l’URSS entre dans le concert des nations, en 1924, lorsqu’elle est admise à la SDN. Elle se rapproche d’abord des démocraties occidentales. Mais à la suite des accords de Munich, Staline décide de s’allier à Hitler. En mars 1939 est signé le pacte germano-soviétique, à la faveur duquel l’URSS annexe de septembre 1939 à mars 1940 la Pologne orientale, la Carélie, les Etats baltes, la Bessarabie et la Bucovine du Nord. Mais le 22 juin 1941, Hitler envahit une URSS mal préparée à la guerre. L’armée nazie avance rapidement jusqu’aux environs de Moscou qui résiste à un long siège. Staline réussit à mobiliser la population au service de la  » Grande Guerre patriotique  » et conclut un accord avec la Grande-Bretagne. Début 1943, l’Armée rouge regagne du terrain et à l’automne 1944 pénètre en Roumanie, en Bulgarie, en Hongrie, participe à la libération de la Yougoslavie, progresse en Pologne au début 1945 et, conformément aux accords de Yalta, occupe l’Allemagne de l’Est. Toujours selon ces mêmes accords, elle déclare la guerre au Japon, et obtient, lors de la capitulation de celui-ci, l’île Sakhaline et l’archipel des Kouriles.

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Après la Guerre Patriotique

A la fin de la guerre, l’URSS a perdu 20 millions d’hommes. Elle regagne rapidement son potentiel industriel grâce au 4e plan quinquennal, mais sa production agricole stagne en raison de la résistance des agriculteurs. Le 5e plan quinquennal donne encore la priorité à l’industrie lourde plutôt qu’aux biens de consommation.

La fin du règne de Staline confine à la folie. Les procès staliniens se multiplient.  Certaines nationalités, accusées d’avoir collaboré avec l’ennemi, sont déportées : Ingouches, Tchétchènes et Tatars de Crimée sont déportés et leurs républiques autonomes supprimées entre 1943 et 1946. Les blessures de cette déportation marqueront longtemps les esprits. Les déportations continuent, la répression policière est omniprésente, et l’adulation de Staline confine à l’absurde. Il atteint son paroxysme en 1949 lors de son 70e anniversaire. Cette date marque l’apogée du culte de la personnalité. Des cadeaux affluent du monde entier.

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Le mouvement communiste international le reconnaît comme le guide génial de la révolution.  » Le Petit Père des peuples  » meurt le 5 mars 1953.

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Entre-temps, la guerre froide est née d’une incapacité des Alliés à s’entendre, de l’instauration de régimes communistes sous la pression de l’URSS en Europe de l’Est et du pacte de l’Atlantique Nord de 1949 dénoncé par Staline. En effet, l’URSS impose son autorité sur les territoires libérés par l’Armée Rouge, refuse l’aide américaine proposée sous la forme du plan Marshall pour aider les pays européens à se reconstruire et impose un blocus à Berlin en 1948. Des régimes favorables à Moscou sont donc installés dans les états d’Europe de l’Est. Pendant 40 ans, les démocraties populaires vont être séparées du continent par le  » Rideau de fer « .

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Les successeurs de Staline comprennent que le système économique entièrement dépendant de la politique menée, avec une large place faite à l’industrie lourde, n’est pas gérable à long terme.

Khrouchtchev : la dénonciation des crimes staliniens

A la mort de Staline, Khrouchtchev est placé à la tête du secrétariat du Parti.

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La nouvelle direction veut rétablir la légalité socialiste et améliorer les conditions matérielles des citoyens. Les deux premières années de ce nouveau dirigeant sont caractérisées par un certain  » dégel « , qui ouvre la porte à un phénomène de résistance qui sera connu sous le nom de  » dissidence « . Il dure deux décennies, jusqu’à la fin des années 1970, mais il a été sévèrement réprimé. Le système soviétique s’engage alors de plus en plus dans une impasse, dont tous prennent conscience à la mort de Brejnev en 1982. L’événement le plus marquant de l’époque est le XXe congrès de 1956, au cours duquel Khrouchtchev dénonce les crimes de Staline, la terreur et le culte de la personnalité, ce qui provoque la stupeur dans le camp socialiste. Les partis communistes étrangers doivent s’adapter à la nouvelle donne.
On efface le nom de Staline et son corps est enlevé du mausolée. Beaucoup de victimes des purges staliniennes sont réhabilitées et les goulags sont vidés de beaucoup de leurs détenus politiques. On assiste à la réhabilitation des victimes des purges et des nationalités déportées en Sibérie, à l’exception des Tatars de Crimée et des Allemands de la Volga. Au sein du Parti, certains, inquiétés par la déstalinisation, s’opposent à Khrouchtchev, qui parvient néanmoins à écarter ses opposants. Il est certes possible de critiquer le régime communiste, mais pas de le remettre en cause.

Restructurer l’économie
Khrouchtchev tente aussi de modifier l’orientation de l’économie, en donnant la priorité aux biens de consommation. Comme l’agriculture ne fonctionne pas, il ordonne en 1954 le défrichage des terres vierges. En effet, jusque-là le pouvoir a misé sur l’intensif, qui a usé les terres sans donner de résultat. Aussi, pour changer les choses décide-t-il de miser sur l’extensif en défrichant de nouvelles terres. Pour relancer la production agricole, l’étau des kolkhozes est desserré et une grande campagne de défrichement des terres vierges est lancée. Par ailleurs, il lance un programme de construction immobilière. On appellera donc khrouchtchevki ces immeubles de trois à cinq étages qui prolifèrent dans les banlieues. Le XXIe congrès considère la construction socialiste achevée et décide de se lancer dans l’édification de la société communiste avec le plan septennal. Ses premiers résultats sont spectaculaires : mise au point de la bombe H en 1953, Gagarine dans l’espace en 1961. Le XXIIe congrès prévoit que l’URSS dépassera les Etats-Unis en 1970. Le 4 octobre 1975, l’URSS remporte une victoire symbolique sur les Etats-Unis en lançant le premier satellite Spoutnik I.

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La détente
Au point de vue international, une détente est amorcée avec la fin de la guerre de Corée en 1953, la réconciliation avec la Yougoslavie et l’établissement de relations diplomatiques avec la RFA. A l’extérieur, l’URSS soutient les pays du tiers-monde récemment décolonisés : Nasser et le développement du nationalisme arabe, Lumumba au Congo, mais ses rapports avec la Chine se détériorent jusqu’à la rupture publique de 1961. Les relations avec l’Ouest et surtout les Etats-Unis se sont nettement refroidies : l’URSS soutient ouvertement Cuba et un avion américain espion est abattu dans le ciel soviétique. La crise atteint son paroxysme avec la construction du Mur de Berlin en 1961 et les missiles soviétiques de Cuba. L’échec de cette politique offensive amène Khrouchtchev à rechercher une entente durable avec les Etats-Unis. Un téléphone rouge reliant directement Moscou à Washington est installé en 1963. Mais le secteur économique et agricole est en difficulté. Plusieurs dérapages, comme la crise de Cuba et la célèbre scène de Khrouchtchev se ridiculisant en tapant avec sa chaussure sur la table de l’ONU, poussent un groupe d’apparatchiks à l’écarter du pouvoir. Khrouchtchev, désavoué, doit démissionner en 1964.

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Brejnev : l’ère de la stagnation

Brejnev lui succède. La nouvelle direction entend poursuivre une politique plus réaliste et revenir à l’orthodoxie léniniste. Elle prend des mesures pour améliorer l’agriculture et le rendement et donne plus d’autonomie aux entreprises industrielles. La censure est renforcée et les intellectuels ont du mal à l’accepter après un Khrouchtchev tolérant. Les dissidents font part de leurs critiques à l’étranger.

07 Oct 1979, Berlin, Germany, Germany --- Soviet leader Leonid Brezhnev and East German President Erich Honecker kiss on the occasion of the 30th anniversary of the German Democratic Republics. --- Image by © Regis Bossu/Sygma/Corbis

Sakharov (prix Nobel de la paix en 1975), Tchalidze et Tverdokhlebov fondent en 1970 un Comité pour la défense des droits de l’homme. Ils sont réprimés. Mais les revendications des groupes nationaux sont plus préoccupantes pour le pouvoir : les Juifs obtiennent le droit d’émigrer en Israël en 1971, les Tatars de Crimée parviennent à se faire réhabiliter. A l’intérieur du parti, de plus en plus d’avantages sont octroyés aux cadres et la corruption se développe. La Constitution de 1977 considère que la société soviétique est devenue  » une société socialiste avancée « .

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Brejnev meurt en 1982. Lui succèdent à la tête du parti Andropov puis Tchernenko. Celui-ci meurt en 1985. A l’extérieur, l’URSS renforce le pacte de Varsovie. Elle renforce aussi ses liens avec Cuba, qui devient un véritable satellite, mais aussi avec la Syrie, l’Irak, le Yémen, l’Algérie… Elle intervient indirectement au Vietnam et au Cambodge pour y installer des régimes communistes et directement en Afghanistan en 1979 pour soutenir un régime à sa dévotion. 100 000 soldats russes font face à une forte résistance locale.

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Elle intervient également en Tchécoslovaquie en 1968. Mais tout en menant cette politique de fermeté à l’intérieur du camp socialiste, elle améliore ses relations avec l’Ouest en signant tous les traités de désarmement.

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La perestroïka

En 1985, la nécessité de réformer le pays en profondeur semble s’être imposée aux dirigeants. L’économie est paralysée à tous les niveaux de production et elle repose sur un système qui n’est pas du tout motivant pour la population. L’expression alors courante  » on fait semblant de payer des gens qui font semblant de travailler  » est assez parlante. De nombreux retards technologiques obligent à faire appel à l’importation. Le pays souffre de problèmes d’alcoolisme et d’absentéisme. Une économie parallèle a dû se mettre en place pour pallier le manque de biens de premières nécessités. Dans les différentes régions, les gouverneurs organisent des sortes de marchés noirs. La course aux armements avec les Etats-Unis continue alors que l’URSS n’en est plus capable. La population accepte de moins en moins cet état de fait.

Gorbatchev arrive au pouvoir en 1985 et étonne tout le monde avec son franc-parler.

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Il va tenter une sorte de révolution : changer de fonctionnement tout en conservant le même système communiste. Il lance la Perestroïka, mot qui signifie restructuration. C’est le volet économique des réformes qu’il entreprend. Il assouplit les directives et permet de créer un embryon de privatisation. Le volet idéologique de ses réformes est la glasnost, mot qui signifie transparence : on peut dire publiquement tout ce que l’on taisait sous la pression idéologique. Les dissidents comme Andreï Sakharov sont libérés, des débats publics ont lieu au soviet suprême. La démocratisation permet l’expression des aspirations démocratiques, écologiques, nationales, religieuses ou même indépendantistes dans les pays baltes et le Caucase. Comme la situation économique ne progresse pas, le mécontentement augmente dans la population. Et comme par ailleurs celle-ci jouit d’une liberté de parole nouvelle, elle peut exprimer ce mécontentement. L’abolition de la censure dans la presse permet par exemple de faire découvrir à la population la catastrophe nucléaire de Tchernobyl en 1986.

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Du coup d’État manqué à la fin de l’URSS

Progressivement, Gorbatchev est pris en étau entre deux formes d’opposition : les conservateurs communistes d’un côté qui lui reprochent d’avoir réformé le système et les libéraux de l’autre qui voudraient au contraire que les réformes aillent plus loin, vers une privatisation totale de l’économie. Ces libéraux qui souhaitent même passer directement au capitalisme s’organisent autour de Boris Eltsine. En août 1991, les communistes profitent du fait que Gorbatchev soit en vacances pour tenter un putsch contre lui.

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Boris Eltsine prend alors la tête de l’opposition. Il appelle à la résistance et réussit à faire plier le putsch ; une partie des forces le soutient. Surtout, Eltsine réussit à mettre les médias de son côté. Il ressort comme le grand héros de ces journées, tandis que Gorbatchev est complètement discrédité. En 1991, lors des élections présidentielles, Gorbatchev ne réussit à rassembler que 1 % des suffrages exprimés. C’est Boris Eltsine qui lui succède à la tête de la Russie. Gorbatchev est président de l’URSS et Eltsine est président de Russie. Gorbatchev reste président de l’Union, mais n’a déjà plus sa place à la tête d’un pays qui ne veut plus exister. Les Etats baltes, puis l’Ukraine, la Moldavie, la Biélorussie, l’Azerbaïdjan, l’Ouzbékistan, le Kirghizistan, le Haut-Karabakh, la Crimée, l’Arménie, le Tadjikistan, le Turkménistan prennent ou obtiennent leur indépendance. Le 21 décembre 1991, à Alma-Ata, 11 des 12 présidents des républiques socialistes soviétiques constatent la fin effective de l’URSS. Gorbatchev, devenu président d’une union défunte, n’a plus qu’à démissionner. Le 25 décembre, Moscou fête Noël… et enterre l’Union soviétique. Dans la brume crépusculaire et glacée qui tombe sur la place Rouge, quatre soldats figés dans leurs capotes amènent lentement le drapeau rouge frappé de la faucille et du marteau, lequel flotte depuis 1917 sur le Kremlin ; à la place ils hissent le drapeau blanc bleu rouge de la Russie.
Un empire est mort, sans fleurs ni couronnes. La Russie naît officiellement dans l’indifférence de Moscovites surtout soucieux d’améliorer leur médiocre quotidien en ce soir de Noël très politique. Le président russe Boris Eltsine vient de leur faire cadeau de leur ville redevenue capitale de la Russie après avoir été, 73 ans durant, capitale de l’Union soviétique. Le 17 avril 1992, la république de Russie prend officiellement le nom de Fédération de Russie.

La Fédération de Russie : le mandat de Boris Eltsine
En décembre 1991, l’URSS a disparu. En 1992, les 15 Républiques se séparent et la Russie se retrouve à nouveau indépendante dans de nouvelles frontières. Il y a comme en 1917 un vide de pouvoir et une histoire qu’il faut à nouveau réinventer. Eltsine est confronté à trois nouveaux enjeux. Tout d’abord, un enjeu économique, car Eltsine s’est fait durant la perestroïka l’ardent défenseur de la privatisation à outrance. Il doit aussi s’atteler à l’enjeu politique de la démocratisation. Et enfin un nouvel enjeu géographique de taille et qui va déterminer la politique extérieure de la Russie : la Fédération se trouve seule dans un tout petit territoire avec de nouvelles frontières à aborder. Mais avant tout Eltsine doit s’offrir une légitimité : au moyen de signes de puissance et grâce au soutien de la population. La première mission du nouveau président, celle du passage à la privatisation, se fait dans un contexte difficile. En effet cette privatisation se fait de façon brutale : le 2 janvier 1992, on décrète la liberté des prix, provoquant des situations de détresse pour la grande majorité de la population. Aussi le parlement majoritairement composé d’anciens cadres du régime, c’est-à-dire de conservateurs, s’opposent-ils farouchement à tous ces changements. Une crise éclate. Le Premier ministre libéral Egor Gaïdar est alors remplacé par Victor Tchernomyrdine. Le 25 avril 1993, c’est par un  » da  » majoritaire que les Russes ont renouvelé leur confiance à Boris Eltsine. Le président russe remporte ainsi une manche contre le Parlement désavoué. Mais l’opposition ne désarme pas, et si les Russes ont choisi la stabilité et la démocratie pour contrer la menace du retour au communisme, on ne sait pas s’ils accepteront longtemps encore de se serrer la ceinture. En effet, l’ensemble de l’économie est désorganisée : les fermetures d’usines sont nombreuses et le chômage flambe, créant les conditions du développement d’une économie parallèle et de l’apparition de mafias. En décembre, Boris Eltsine fait voter une nouvelle constitution. En 1995, l’élection de la Douma consolide le camp de l’opposition ultranationaliste. La profonde désorganisation et l’instabilité de la Russie poussent les opposants au régime à conclure un  » pacte d’entente civile  » qui repousse les élections présidentielles à 1996. En 1995, la tentative de sécession de la Tchétchénie met en lumière la menace du réveil des nationalités et de l’intégrité de la Russie. En juillet 1996, Boris Eltsine parvient à se faire réélire contre son opposant conservateur avec l’appui du général Lebed, seul personnage capable de lui faire de l’ombre et qu’il évincera plus tard. Boris Eltsine parvient à mettre fin à ce qui sera la première guerre de Tchétchénie, en signant un accord de paix avec le président tchétchène Aslan Maskhadov et qui met fin à la guerre sous réserve d’une décision sur le statut de la république caucasienne rebelle, renvoyée à cinq ans. Au niveau international, la Russie est intégrée au Conseil de l’Europe, ce qui la contraint à renoncer à l’application de la peine de mort. Elle signe ensuite un accord de normalisation de ses relations avec l’OTAN. Mais la situation économique du pays rattrape vite la Russie. La fin de la présidence de Boris Eltsine est marquée par une grande instabilité. Economique tout d’abord, puisqu’une grave crise bancaire éclate en août 1998. Elle est doublée d’une crise politique. En mars 1998, Boris Eltsine renvoie le gouvernement de Tchernomyrdine, en place depuis cinq ans, et provoque une crise politique grave, exacerbant les tensions entre le Kremlin et la Douma qui se menacent mutuellement de destitution et de dissolution. La Douma obtient finalement le renvoi du nouveau Premier ministre Sergueï Kirienko en septembre. Le président se résout à nommer un homme du compromis, Evguéni Primakov, à la tête du gouvernement russe. L’année suivante, en pleine guerre du Kosovo qui a alourdi le climat entre la Russie et l’Occident, Eltsine, menacé de destitution par la Douma, limoge Primakov. Le ministre de l’Intérieur Sergueï Stépachine est nommé à la tête du gouvernement, un choix auquel se résigne la Douma. A l’approche des présidentielles de 2000, Eltsine sort de son chapeau un nouveau Premier ministre totalement inconnu du grand public, Vladimir Poutine. Le 31 décembre 1999, Eltsine démissionne à la veille des présidentielles et désigne Poutine comme dauphin. Ce dernier est élu président de la Russie le 26 mars 2000 dès le premier tour avec 52 % des voix. Cette élection triomphale constitue sans conteste une rupture avec l’ère Eltsine.

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Jacques BONNAUD author