MOSCOU RELIGIONS

ParJacques BONNAUD

MOSCOU RELIGIONS

A. Généralités

1. La Russie est un état laïque en théorie

a. L’article 28 de la Constitution du 12 Décembre 1993 de la Fédération de Russie stipule que l’État russe est non confessionnel et  affirme que « à chacun est garanti la liberté de conscience, la liberté de croyance, y compris le droit de professer et pratiquer individuellement ou avec d’autres toute religion ou de n’en professer et pratiquer aucune, de choisir, d’avoir et de diffuser librement des convictions religieuses et autres ou d’agir conformément à celles-ci ».
Mais….

b. Selon la Loi de 2007 sur la liberté de conscience et des associations religieuses, l’État ne reconnaît que le christianisme orthodoxe, le judaïsme, l’islam et le bouddhisme comme «religions traditionnelles» de la Russie. Bien que cette reconnaissance néglige le rôle historique de l’Église catholique et des communautés protestantes en Russie depuis le XVIe siècle et octroie à l’Église orthodoxe russe une position d’accès privilégié aux pouvoirs publics, les Églises catholiques et luthériennes jouissent presque du même état complet de  reconnaissance, recevant ainsi presque le même soutien du gouvernement que les religions «traditionnelles».

c. La Loi de 1997 sur la liberté de conscience et d’association rend l’enregistrement obligatoire et elle établit trois grandes catégories de communautés religieuses: des «groupes religieux», des « organisations religieuses locales » et des « organisations religieuses centralisées ».
Des statuts et privilèges juridiques différents s’appliquent à chacune de ces catégories.
Les « groupes religieux» peuvent célébrer des rituels religieux, organiser des services de culte et enseigner la doctrine religieuse. Cela dit, ils ne peuvent pas être enregistrés auprès du gouvernement et ils n’ont donc pas de statut juridique. En tant que tels, ils ne peuvent pas ouvrir de comptes bancaires, acheter ou louer de bâtiments, bénéficier d’avantages fiscaux ou publier de la littérature.
Pour qu’un « groupe religieux » puisse devenir une « organisation religieuse locale », il doit avoir existé dans cette catégorie initiale pendant au moins 15 ans. Les « organisations religieuses locales » sont obligées d’avoir au moins 10 personnes âgées de plus de 18 ans qui vivent en permanence dans une zone donnée. Elles sont considérées comme des entités enregistrées, tant au niveau fédéral qu’au niveau local, et ainsi, elles bénéficient des droits aux privilèges et avantages qui ne sont pas à la disposition des «groupes religieux».
Les « organisations religieuses centralisées» sont créées en réunissant au moins trois « organisations religieuses locales». En plus des privilèges et avantages accordés aux «organisations religieuses locales», elles sont autorisées à former d’autres « organisations religieuses locales », sans avoir à se soumettre à la période d’attente de 15 ans. De même, une fois qu’une « organisation centrale» existe depuis plus de 50 ans, elle peut utiliser le terme Russie ou russe dans son titre officiel. En raison de la Loi de 2002 sur la lutte contre les activités extrémistes, tout discours religieux, la littérature ou les activités qui affirment la supériorité, l’infériorité ou l’exclusivité de tout citoyen à l’égard de la religion est passible de poursuites pénales. La loi a également établi une liste nationale des documents extrémistes interdits. Tout tribunal – local, régional ou fédéral – peut ajouter du matériel à la liste fédérale, ce qui rend l’interdiction d’un élément particulier dans une juridiction applicable à une interdiction dans tout le pays. Par exemple, en mars 2015, le directeur d’une bibliothèque de village a été condamné à une amende pour avoir, dans la section religion de sa bibliothèque, 3 livres interdits par un tribunal du district de Vladivostok quelques années plus tôt. La Loi ne prévoit pas de dispositions pour inverser l’interdiction de tel matériel après qu’il a été énuméré dans la liste, bien que le gouvernement a fait supprimer un certain nombre de livres en 2015, après des appels lancés par des auteurs et des éditeurs.

d. En 2006, la Douma d’État a élargi la Loi sur l’extrémisme, pour inclure des actes non violents de désobéissance civile comme des activités extrémistes. La Loi définit désormais l’activité extrémiste comme une «incitation à la haine raciale, nationaliste ou religieuse et à l’hostilité sociale». L’imprécision de cette définition laisse la porte ouverte aux autorités pour étiqueter comme une « incitation à la haine religieuse », tous les enseignements religieux qui contredisent ceux des «religions traditionnelles», En 2012, la Commission de Venise a publié un document indiquant qu’à son avis la Loi russe de 2002 sur l’extrémisme présentait des lacunes à plusieurs niveaux: des définitions vagues du terme violence qui pourraient conduire à des abus et à des applications arbitraires; des procédures arbitraires et des sanctions sévères qui offensent le droit à la liberté de religion ou de conviction et la liberté d’expression; et l’absence d’une approche précise, proportionnée et cohérente exigée par la Convention européenne des droits de l’homme. La Commission a demandé à la Fédération de Russie de modifier cette loi afin de la rendre conforme aux normes internationales des droits de l’homme. La Loi sur l’extrémisme a également été utilisée pour poursuivre des individus et des groupes religieux considérés comme des menaces pour la sécurité, souvent avec peu de justification. L’article 282 du Code criminel, relatif aux «actions visant à l’incitation à la haine nationale, raciale ou religieuse », entraîne des sanctions sévères pour les individus et les groupes qui ont été jugés extrémistes.  Le Code des délits administratifs resserre également les restrictions sur des soi-disant groupes extrémistes. Par exemple, l’article 20.2, partie 1 punit les violations des procédures d’organisation de réunions et de rassemblements. L’article 20.29 a été ajouté en 2007 pour pénaliser la production ou la distribution de « matériel extrémiste » par la confiscation de ce matériel, ainsi que des amendes prohibitives et de la détention.

2. La Russie est multiconfessionnelle

On répertorie 23 000 organisations religieuses qui sont enregistrées comme personne morale et, d’après le professeur Roman Silantiev de l’Université de Moscou (MGLU), elles appartiennent à 95% « aux religions traditionnelles » d’après la loi sur la liberté de conscience :
* Chrétiens orthodoxes : 55% y compris les Vieux-Croyants
* Musulmans : 15% (principalement Sunnites)
* Juifs : 3% (seulement Orthodoxes et Hassidiques)
* Protestants : 8% (principalement Luthériens et Pentecôtistes)
* Catholiques latins : 1%
* Bouddhistes : 1% (de tradition tibétaine)

Loin derrière il y a aussi l’Hindouisme et le Chamanisme essentiellement en Sibérie

Il y a aussi des « religions nouvelles » pour la Russie (Témoins de Jéova, secte Moon, Mormons) qui verraient leur part décroître fortement, passant ensemble de 5,8% à 3,1%.

B. L’Eglise Orthodoxe

1. L’église orthodoxe a été pendant une période récente une église martyre comme le rappelle Jean François Colisimo. Entre la victoire des bolcheviks et l’entrée en guerre de la Russie, elle avait vu disparaître 600 évêques, 40 000 prêtres, 120 000 moines et moniales ; 75 000 lieux de culte avaient été détruits dont la cathédrale du Christ-Sauveur, dynamitée et remplacée par une piscine avant d’être reconstruite puis ouverte au culte en l’an 2000. La chute de l’Union soviétique a permis une rechristianisation en profondeur du pays.

2. L’église orthodoxe est majoritaire
Même si la pratique religieuse est faible, les Russes se reconnaissent très majoritairement dans la tradition orthodoxe qui est un élément déterminant de l’identité collective
Moscou se déclare  « la troisième Rome »

3. Présentation :
L’église orthodoxe de Russie ou Patriarcat de Moscou est la juridiction canonique autocéphale de l’Église orthodoxe de Russie
Le chef de l’Église porte le titre de « patriarche de Moscou et de toute la Russie ». Sa résidence est au monastère Danilov à Moscou. Le titulaire depuis le 27 janvier 2009 est le patriarche Cyrille.

4. Histoire :
L’Église orthodoxe russe fait remonter son origine au baptême du prince Vladimir Ier de Kiev en 988. En fait, la Rus’ de Kiev, état pluri-ethnique, ne correspond pas complètement à la Russie (Moscovie). La légende raconte que Vladimir, voulant choisir une nouvelle religion, envoya des ambassadeurs chez plusieurs peuples pour voir comment ils adoraient Dieu. Le choix se serait porté sur le christianisme byzantin à cause de la beauté du culte. En fait, ce choix avait des raisons politiques et stratégiques. Le siège métropolitain de Kiev fut créé vers 991 sous la juridiction du patriarcat de Constantinople qui nommait le primat. Iaroslav le Sage, le fils et successeur de Vladimir, permit le développement de la nouvelle Église en encourageant la création de nouveaux diocèses, en faisant construire des cathédrales.
Malgré les controverses et les « hérésies » (mouvements protestataires comme les Doukhobors, Moloques, Khlysts, Subbotniks, Skoptsys, Philippoviens et autres Vieux-croyants) l’Église russe se consolide au cours des siècles suivants, grâce notamment à l’essor de la vie monastique. Elle marque de plus en plus son indépendance vis-à-vis du patriarcat œcuménique de Constantinople. Ainsi Jonas est nommé métropolite de Moscou et de toute la Russie en 1448 sans le consentement de Constantinople. En 1589, le régent Boris Godounov mène une politique d’indépendance de la Russie et crée le patriarcat de Moscou : l’Église orthodoxe de Russie devient alors autocéphale.
Fédor Romanov devenu patriarche de Moscou en 1619 gouverne de facto la Russie pendant le règne de son fils Michel Ier, premier tsar de la dynastie des Romanov. Cette dyarchie fait que tous les actes de l’État sont signés par le patriarche et le souverain. Pierre le Grand réinstaure la primauté du politique en supprimant le patriarcat en 1721. Il est rétabli en 1918 à la suite de la chute du tsarisme, car l’Église manifeste un fort désir d’émancipation, mais après la mort du patriarche Tikhon, il faut attendre 1943 pour que le patriarche Serge soit élu. Le titulaire actuel est Sa Béatitude Cyrille Ier depuis le 27 janvier 2009.

C. L’Eglise Catholique en Russie :

1.Le choc de la révolution bolchevique

La carte du catholicisme en Russie, telle qu’elle avait été dressée par le concordat entre le Saint-Siège et l’Empire russe fut modifiée suite aux bouleversements territoriaux des confins occidentaux de l’État issu de la Révolution. Le diocèse de Vilna se trouva de facto partagé entre la Lituanie et la Pologne, et celui de Sagomitie était entièrement en Lituanie, indépendante depuis le 12 juillet 1920 ; le diocèse de Loutsk et Jitomir fut amputé des provinces de Volhynie et de Podolie cédées à la Pologne. Le diocèse de Tiraspol perdit la Bessarabie cédée à la Roumanie. Amputé lui aussi dans sa partie occidentale, l’archevêché de Moghilev restait au début des années vingt le plus vaste diocèse du monde. Le 2 février 1923 fut créé le diocèse de Vladivostok.
Dès la prise du pouvoir, le gouvernement bolchevique décida de frapper la tête de la hiérarchie catholique. Arrêté le 19 avril 1919, puis libéré, Mgr baron Eduard von der Ropp, archevêque de Moghilev, quitta la Russie en novembre 1919 et s’établit à Varsovie. Joseph Kessler, évêque du diocèse de Tiraspol, quitta Saratov en août 1917 pour s’installer à Odessa puis à Krasna en Bessarabie en janvier 1920, à Berlin enfin en septembre 1921.
Le décret sur la séparation de l’Église et de l’État du 23 janvier 1918 est le fondement de toute la législation soviétique sur les relations avec les confessions religieuses. À tout citoyen est reconnu le droit d’affirmer son appartenance à une religion comme celui de ne faire partie d’aucune. La pratique religieuse est libre dans la mesure où elle ne trouble pas l’ordre public. L’état civil est retiré aux Églises. L’enseignement est placé sous la responsabilité exclusive de l’État. Les lieux de culte sont laissés à la disposition des Églises, à l’exclusion de ceux que l’État retirera en raison de leur valeur archéologique, historique ou artistique. Ce ne seront plus les paroisses qui auront une existence juridique mais des communautés de croyants qui devront trouver en leur sein les fonds nécessaires au fonctionnement de leur culte. L’ensemble des biens des Églises est nationalisé selon des modalités qui sont précisées par un décret du 8 novembre 1918. Elles avaient déjà perdu leurs avoirs financiers lors de la nationalisation des banques le 28 janvier 1918.
Cependant, au début de la révolution bolchevique, le pape Benoît XV eut une attitude conciliante, souhaitant au moment de la préparation de la Conférence de Gênes que les nations européennes intègrent le nouvel État issu de la révolution russe. Par ailleurs, abandonnant le vocabulaire traditionnel désignant l’Église russe comme schismatique et hérétique, le pape intervint diplomatiquement pour s’inquiéter du sort des dignitaires orthodoxes arrêtés. En Russie même, les prêtres catholiques se sentirent abandonnés par leurs pasteurs : « clergé et fidèles sont totalement abandonnés par la hiérarchie », écrivait Pie Eugène Neveu, prêtre assomptionniste en Russie du Sud depuis 1906. Mais dans le même temps, en 1918-1919, le décret de la séparation de l’Église et l’État fut ressenti par certains prêtres catholiques comme la libération du joug de l’Église dominante. La famine qui éclata en Russie en 1921 allait bouleverser, pour un temps, les données de tous les problèmes.
Négocié par le cardinal Gasparri, secrétaire d’État sous Benoît XV puis sous Pie XI – élu pape le 6 février 1922 –, et par Vaclav Voronski, chef de la représentation commerciale des bolcheviks en Italie, un accord fut signé le 12 mars 1922, permettant à des envoyés du Saint-Siège de distribuer une aide alimentaire en Russie. Pie XI souhaitait expressément le succès de la Conférence de Gênes tandis qu’en Russie le décret du 23 février 1922 ordonnant la saisie de tous les biens précieux des églises pour sauver les millions de citoyens touchés par la famine souleva des réactions violentes des prêtres et des fidèles sous la conduite du patriarche Tikhon. Lénine organisa une répression impitoyable contre ceux qui s’opposaient à ces saisies.

2. Persécutions et négociations

À partir de 1923, une persécution religieuse se déchaîna sur toutes les confessions religieuses, en premier lieu sur la hiérarchie orthodoxe et dans les diocèses polonais et lituaniens ; elle allait s’étendre à tout le pays. À Moscou se tint le procès de Mgr Johannes Cieplak, administrateur apostolique de Moghilev après l’expulsion de Mgr de Ropp. Ayant donné l’ordre à son clergé de s’opposer à la saisie des biens précieux des églises, il fut arrêté avec son vicaire général Mgr Boudkievitch, dix prêtres latins et Mgr Fedorov, exarque des Russes unis. Les deux principaux accusés furent condamnés à mort, Mgr Boudkievitch fut exécuté, la peine de Mgr Cieplak fut commuée en dix ans de prison. Par ailleurs, le gouvernement bolchevique avait signifié au Père Walsh, chef de la mission humanitaire du Saint-Siège, que celle-ci devrait cesser ses activités le 15 juillet 1923. En dépit des événements dramatiques et des multiples condamnations de prêtres, le Vatican continua à rechercher une entente avec le gouvernement soviétique.
Le 9 avril 1924, Mgr Cieplak fut expulsé d’Union soviétique. Pie XI décida d’engager des négociations secrètes avec le gouvernement soviétique, à Berlin, dans la mesure où Allemands et Russes s’étaient rapprochés par le traité de Rapallo (avril 1922). Le négociateur du Saint-Siège était Mgr Pacelli, le futur Pie XII, nonce à Berlin.
Des négociations se déroulèrent en février 1925, se poursuivirent en octobre 1925. Le Saint-Siège était prêt à demander au clergé catholique en Russie une déclaration de loyalisme si l’URSS concédait au Saint-Siège le droit de nommer les évêques et à l’Église catholique celui de dispenser un enseignement religieux aux personnes de moins de dix-huit ans. Pour le reste, le Saint-Siège s’accommodait du décret sur la séparation de l’Église et de l’État compte tenu que, dès février 1925, Krestinski, l’ambassadeur soviétique à Berlin, avait laissé entendre que des aides financières extérieures pourraient être tolérées dans la mesure où elles demeureraient sous le contrôle de l’État. Mais les négociations traînaient. Tchitcherine, commissaire du peuple aux Affaires extérieures, prépara une circulaire définissant la situation de l’Église catholique dans l’État soviétique et les rapports du gouvernement soviétique avec le Vatican. Prévoyant la possibilité de relations entre le Vatican et les catholiques russes, ce projet refusait à l’Église catholique la personnalité juridique, la propriété d’immeubles, l’enseignement religieux et une organisation centralisée. Ce projet de circulaire, lui-même un compromis entre les services de Tchitcherine et les adversaires de toute concession aux confessions religieuses fut remis à Mgr Pacelli le 11 septembre 1926. Mais à cette date, le Saint-Siège avait déjà opté pour une autre politique.

3. Une réorganisation secrète

Après le départ ou l’expulsion de ses évêques de Russie, l’Église catholique n’avait plus aucune structure dans le nouvel État. Le 10 mars 1926, Pie XI envoya le Père Michel d’Herbigny comme délégué en Russie. Celui-ci avait comme couverture un passeport diplomatique français pour une inspection des églises et biens français nationalisés. Les Soviétiques, ne voulant pas d’un négociateur prêtre, n’apposèrent le visa que sur un passeport simple. C’est à Berlin, le 29 mars, dans la chapelle de la nonciature, que Mgr d’Herbigny reçut en secret de Mgr Pacelli l’ordination épiscopale. Le 21 avril, Mgr d’Herbigny consacra Pie Eugène Neveu dans l’église Saint-Louis-des-Français à Moscou. Le 23 avril, à Kharkov, Mgr d’Herbigny désignait le doyen Vincent Ilguine comme administrateur apostolique sans caractère épiscopal. Mgr d’Herbigny réorganisa ainsi secrètement toute la hiérarchie catholique en Union soviétique en vertu du décret Quo aptius du 10 mars 1926 de Pie XI. Sur le territoire soviétique de l’archevêché de Moghilev et du diocèse de Tiraspol furent créées neuf administrations apostoliques dont quatre furent dirigées par des évêques – Mgr Neveu à Moscou, Mgr Antoine Maletski à Leningrad, Mgr Boreslav Sloskans à Moghilev-Minsk, Mgr Alexandre Frison à Odessa – et cinq par des administrateurs apostoliques à Saratov, à Tiflis, à Kharkov, en Géorgie et pour la région de Kazan-Samara-Simbirsk. Grâce à l’ordo que Mgr de Ropp continuait à faire paraître de son exil à Varsovie, nous avons un état statistique précis sur les catholiques répartis sur le territoire de l’URSS en 1925 : trois cent vingt mille fidèles, quatre-vingt-dix prêtres, dont trois malades et quinze en prison. Environ cent autres prêtres du diocèse ont quitté l’Union soviétique dont certains par expulsion. Parmi les quinze prêtres emprisonnés, cinq étaient de rite oriental ; parmi eux l’exarque Léonide Fedorov.
Le mouvement des catholiques russes s’était structuré entre 1917 et 1919. Appelés d’abord « les vieux croyants en communion avec le Saint-Siège », ils furent réunis en un exarchat catholique russe qui tint son premier synode en mai 1919. Léonide Fedorov y fut consacré exarque, ce qui fut officiellement confirmé par Benoît XV en 1921, une époque où le Saint-Siège formait des prêtres de rite oriental, au Collegium Russicum à Rome et au séminaire de Saint-Basile à Lille. Cet exarchat, dont les fidèles étaient quelques centaines, à Leningrad et à Moscou, fut décapité pendant l’été 1922 par l’arrestation de ses prêtres, dont Léonide Fedorov, qui mourut en 1935. Peu avant la Révolution, Anna Abrikosova avait fondé la « Communauté des tertiaires dominicaines » qui fut l’unique communauté religieuse féminine des Russes catholiques. Elle fut dissoute en novembre 1923 au motif de catéchèse des enfants. Les religieuses furent emprisonnées et la fondatrice mourut en prison en 1936. Le dernier prêtre russe catholique fut arrêté en 1927.

4. Quelques concessions

Pour les catholiques de rite latin, l’époque de la NEP, la Nouvelle Politique économique, apporta un certain répit. Notamment dans les villages, le décret sur la séparation de l’Église et de l’État fut appliqué le plus souvent sans rigueur extrême. Services religieux ordinaires et fêtes solennelles étaient célébrés, les processions n’étaient pas interdites et même l’enseignement religieux de la première communion était assuré. La réorganisation administrative des diocèses n’entraîna aucune conséquence pratique. En 1928, trente-deux prêtres desservaient quarante-cinq paroisses dans la République socialiste soviétique des Allemands de la Volga ; la région de la mer Noire comptait soixante-quatre prêtres pour soixante-neuf paroisses. À la violence de 1918 à 1921, à la période de la famine (1921-1922), suivit, de 1924 à 1929, du moins pour les catholiques romains, une période où le combat pour l’athéisme se développa surtout au niveau de l’enseignement et dans des revues antireligieuses. Mais une nouvelle étape fut franchie par une loi du 8 avril 1929 dans la République soviétique fédérale socialiste russe, loi qui fut reprise dans différentes républiques de l’Union.

Cette loi introduisit l’obligation d’enregistrement de toute association religieuse au soviet pour les affaires religieuses auprès du Conseil des ministres (art. 2). C’est donc le culte lui-même qui fut expressément soumis à autorisation. La liberté de propagande religieuse, inexistante de fait, fut expressément interdite. La liberté religieuse fut strictement limitée à la célébration du culte et le droit de collecter des fonds, réduit. L’activité des prêtres ne put dépasser le territoire de la paroisse, ce qui réduisit presque à néant le ministère des évêques et administrateurs apostoliques. En revanche, cette loi prévoyait la possibilité d’organiser des congrès eucharistiques et d’entretenir des séminaires. En dépit de ces concessions, le but de cette loi était d’anéantir la vie religieuse.

5. Répression et condamnations à mort

Au début de la collectivisation de l’agriculture, l’influence du clergé était encore grande, mais la volonté des prêtres de poursuivre leur ministère au sein même des kolkhozes allait intensifier une lutte sans merci. Procès, exécutions, et surtout déportation sur l’Océan glacial arctique, en Sibérie et en Asie Centrale allaient se succéder dans toute l’Union soviétique. Les églises furent confisquées et transformées en clubs, cinémas, musées, entrepôts après qu’on eut pris soin, le plus souvent, d’abattre les clochers. À partir de 1936, plus aucun culte n’était assuré. À certains endroits, les familles furent contraintes de remettre aux autorités missels et autres livres religieux. Les enseignants avaient mission d’interroger les élèves pour découvrir et dénoncer les parents donnant un enseignement religieux à leurs enfants. Il semble que seules les régions reculées du Kazakhstan aient été relativement épargnées par la politique stalinienne qui se déchaîna de manière particulièrement atroce en 1937.
Si l’élimination de la religion a été un objectif constant du pouvoir soviétique, l’ampleur des condamnations à mort dans le cadre de la répression religieuse peut être isolée pour les prêtres et religieux. Alexandre Iakoblev, un ancien membre du Politburo communiqua des chiffres au cours d’une conférence de presse du 27 novembre 1995, citant le nombre de deux cent mille prêtres orthodoxes fusillés, dont plus de la moitié en 1937 et 1938 après le déclenchement d’une campagne de terreur décidée par Staline et précisée dans une résolution de la session du Politburo du 2 juillet 1937 et dans le décret du NKVD n° 00485 du 2 août 1937. C’est en 1937 et 1938 que furent fusillés au moins cinquante-quatre prêtres catholiques, la plupart dans le camp de Solovki à une époque où ils n’étaient probablement plus qu’une centaine sur l’ensemble du territoire de l’Union soviétique. La hiérarchie catholique avait été neutralisée : des quatre évêques consacrés en 1926, Mgr Maletski et Sloskans avaient été expulsés, Mgr Neveu rentra en France en 1936, Mgr Alexandre Frison fut condamné à mort et fusillé le 20 juin 1937.
La lutte antireligieuse qui s’abattit sur toutes les confessions chrétiennes s’atténua pendant la deuxième guerre mondiale vis-à-vis de la religion orthodoxe. Ce répit ne concerna pas les protestants et catholiques en raison de leur ascendance ethnique. Leur déplacement massif allait faire disparaître toute manifestation de leur identité culturelle.

6.Une lente renaissance, freinée par des discriminations et des vexations

La réhabilitation des populations soviétiques d’origine allemande à partir de 1955 marque le début d’une nouvelle époque, puis la réorganisation progressive d’une vie culturelle nationale coïncida avec une nouvelle offensive du gouvernement soviétique contre les religions. La loi du 8 avril 1929, suspendue pendant la guerre, fut réactivée en 1960. De nouveau, des églises et des couvents orthodoxes furent fermés. En revanche, cela permit aux luthériens, aux catholiques et aux réformés de sortir de leur état de non existence et de tenter de s’inscrire, localement, comme associations religieuses. À partir du milieu des années cinquante, on assista à une renaissance lente mais significative de la vie religieuse. Elle se développa souvent au prix d’une discrimination professionnelle pour les adultes et de risques scolaires pour les adolescents.
Au Kazakhstan, la première chapelle catholique de l’après-guerre date de 1956, mais il fallut plus de vingt ans pour obtenir les autorisations de recréer des communautés paroissiales. En 1976, 840 000 Soviétiques allemands vivaient au Kazakhstan, dont près du quart issu de familles catholiques. À partir de 1977, quatre églises purent être construites, à Karaganda, Kustanaj, Krasnoarmejsk et Alma-Ata. Le plus souvent, des prêtres rescapés des déportations furent les premiers pasteurs de ces communautés renaissantes.
Dans les autres républiques de l’Union, la vie religieuse des catholiques sortit peu à peu de son existence illégale. En Kirghizie vivaient dans les années soixante-dix plus de vingt mille catholiques et la communauté de Frunze obtint une reconnaissance officielle en 1969. Au Tadjikistan, ce fut en 1977 à Douchanbé. En Ukraine vivaient en 1970 470 000 Polonais et plus de 10 000 Lituaniens. Quinze églises catholiques et vingt-deux chapelles étaient desservies par dix-neuf ecclésiastiques. C’est dans la Fédération russe que la situation des catholiques est restée la plus précaire. Dans les années soixante-dix, on peut estimer à 400 000 le nombre de personnes d’origine catholique, polonaise surtout (environ 200 000) et lituanienne (près de 80 000), les autres sont d’origine allemande (environ 20 000), ukrainienne et biélorusse. Presque tous les prêtres avaient disparu. Seules deux paroisses, l’une à Leningrad l’autre à Moscou, ont eu une existence ininterrompue. En Moldavie, un seul lieu de culte, la chapelle du cimetière de Kichinev, existait dans les années soixante-dix pour les quarante mille catholiques de la République. Le dynamisme de son pasteur, Wladeslaw Sawelnjuk, d’origine polonaise, attira l’attention des autorités qui fermèrent, voire détruisirent, les lieux de culte que ce prêtre avait créés ; mais le temps des emprisonnements pour activités religieuses illégales était à sa fin. Dans la République biélorusse, où les habitants de tradition catholique sont nombreux, il n’y avait plus que trente prêtres âgés en 1977. Aucune autorisation d’ouverture d’églises n’avait été accordée à Minsk, la capitale.
Parmi les républiques baltes, la Lituanie était la seule de tradition catholique. Après l’annexion, les lois soviétiques furent appliquées en Lituanie avec toute leur rigueur : fermeture des églises, expropriation, de tous les établissements, écoles, hôpitaux, séminaires, arrestation et bannissement de nombreux prêtres. Deux séminaires furent maintenus à Kaunas et à Riga, où le gouvernement appliqua une politique de surveillance très stricte dont le but, pour l’essentiel, était de n’autoriser l’admission que des étudiants dont le profil convenait au pouvoir.
En 1975, la législation soviétique a intensifié encore la lutte antireligieuse. Un nouveau décret renforça le rôle de la formation à l’athéisme et les autorisations de constitution de groupes religieux et de construction de lieux de culte n’étaient plus accordées par les instances des différentes Républiques mais par le Soviet des Affaires religieuses auprès du Conseil des ministres de l’URSS. La même année, le 1er août 1975, l’acte final de la Conférence d’Helsinki proclamait la liberté religieuse comme un des droits fondamentaux de la personne. À cette époque, la répression brutale avait cessé, mais pas les chicanes administratives efficaces et une discrimination sévère dans le monde du travail, à l’école et à l’université. C’est dans ce contexte où s’affrontaient encore adversaires et partisans de la religion également épuisés que surviendra l’effondrement de l’Union soviétique.

7. La rechristianisation : nouveaux enjeux, nouveaux conflits

L’effritement, puis la chute du régime soviétique furent promptement mis à profit par le pape Jean Paul II pour réorganiser l’Église catholique dans les anciens territoires de l’Union soviétique et force fut de constater que l’Église orthodoxe russe et l’Église catholique, qui avaient pourtant subi en commun le sort d’Églises persécutées, se retrouvèrent presque du jour au lendemain, sinon des adversaires, du moins des communautés animées par des sentiments de défiance. Après la conclusion de la Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe, dont le document final du 15 janvier 1989 prévoit des sanctions contre les États ne respectant pas le droit des communautés religieuses de s’organiser selon leurs propres structures hiérarchiques et institutionnelles, le Vatican créa dès 1990 des administrations apostoliques à Moscou, Saratov, Novossibirsk et Irkoutsk. Cette mesure inquiéta la hiérarchie orthodoxe russe. Mikhaïl Gorbatchev puis Boris Eltsine, qui avaient d’évidentes raisons politiques d’inviter le pape Jean Paul II en Russie, durent y renoncer devant l’hostilité de l’Église orthodoxe et se retrouvèrent dans la situation des souverains russes maintes fois freinés par l’Église dominante dans leur ouverture à l’Occident. Les efforts de la diplomatie vaticane pour rendre possible un voyage du pape à Moscou furent vains. Jean Paul II prit alors une décision qui exacerba, et sans doute pour longtemps, la défiance de l’Église orthodoxe vis-à-vis du Vatican. Le 11 février 2002, un communiqué du Saint-Siège annonçait que les administrations apostoliques existant dans la Fédération de Russie étaient élevées en diocèses, à savoir l’archidiocèse de la Mère de Dieu à Moscou, les diocèses Saint-Clément à Saratov, de la Transfiguration à Novossibirsk, de Saint-Joseph à Irkoutsk. Le Vatican justifia cette mesure comme un rétablissement de la structure existant avant 1920. Suite à cette décision, le patriarcat orthodoxe russe publia une lettre mémorandum sur le thème du prosélytisme de l’Église catholique où il est écrit notamment : « Ne se limitant plus à ses groupes traditionnels (polonais, allemands, lituaniens), l’Église catholique en appelle à la nature missionnaire de l’Église. » Les millions de Russes non baptisés sont l’enjeu de cette dispute. L’Église orthodoxe dénie aux autres confessions chrétiennes le droit de rechristianiser ces millions de Russes élevés dans l’athéisme depuis plusieurs générations. Pour le cardinal Kasper, président du conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens : « L’Église orthodoxe confirme sa propre décadence pastorale et évangélisatrice, du coup elle craint une présence catholique beaucoup plus efficace au niveau pastoral et ce, malgré sa faiblesse numérique » (La Civilta cattolica du 16 mars 2002). Avec discrétion, cette lettre du patriarcat évoque les moyens financiers considérables disproportionnés par rapport aux buts affichés. Un seul exemple : à Pskov, les catholiques ont présenté le projet d’une église de quarante-deux mètres de haut dans une ville ne comptant qu’une centaine de fidèles. Au XVIe siècle déjà, le patriarche de Moscou veillait à ce que les communautés de confession occidentale ne puissent pas disposer de clocher. La lettre évoque aussi la création du Grand Séminaire de Saint-Pétersbourg, de petits séminaires à Astrakma et Novossibirsk, de l’Institut théologique Saint-Thomas d’Aquin à Moscou avec ses antennes à Kaliningrad et à Saratov. Cette lettre énumère aussi les mouvements catholiques laïques présents en Russie, les Focolari, Communion et Libération, le Chemin néocatéchuménal.
La rencontre entre le président russe Vladimir Poutine et le pape Jean Paul II, le 5 novembre 2003, a montré à quel point la situation était bloquée. Le président russe n’a pas renouvelé son invitation du pape à Moscou, trop conscient qu’une telle visite est impossible sans l’accord du patriarche Alexis II, ce qui, actuellement, est hors de question. Vladimir Poutine a plaidé pour l’unité des chrétiens, le pape a prié pour la Russie et tous deux embrassèrent l’icône de la Vierge de Kazan dont on ne peut prévoir aujourd’hui quand un pape ira la remettre à Moscou entre les mains d’un patriarche.

D. L’Islam en Russie :

L’islam est la deuxième religion de la Russie. La Fédération compte entre 16 et 20 millions de musulmans pour 142 millions d’habitants. Ils sont un ou deux millions à Moscou et sont majoritaires dans plusieurs républiques autonomes – notamment le Tatarstan qui borde la moyenne Volga et les républiques caucasiennes du Daghestan et de Tchétchénie. Cependant, il est impossible de mesurer la pratique religieuse, sans doute assez faible si l’on en juge par la fréquentation le vendredi des mosquées de Kazan, capitale du Tatarstan et principal centre culturel de l’islam russe. Autre indice, plus précis : en 2005, 13 000 pèlerins russes ont fait le pèlerinage de La Mecque et parmi eux 10 000 habitaient le Nord-Caucase.
L’histoire de l’islam en Russie est celle d’une invasion suivie d’une reconquête et d’une expansion coloniale. L’islam est d’abord apporté par les conquérants arabes qui pénètre en Transcaucasie et s’emparent de Derbent (sur le territoire de l’actuel Daghestan) entre 642 et 654 puis en 728. L’islam est resté depuis cette date la religion de la plupart des peuples qui vivent sur ce territoire : les Azéris, les Lesghiens, les Tchétchènes. D’autres conquérants apportent l’islam en Crimée et les Bulgares de la Volga, de langue turcique, le répandent aux alentours de ce fleuve. Mais c’est surtout un peuple turc allié aux Mongols de Gengis Khan – les Tatars – qui participe à la défaite des Russes en 1223, ravage leur territoire puis se fixe sur la Volga. Ils constituent en 1438, après la dislocation progressive de la Horde d’Or, le khanat de Kazan qui s’affirme aux côtés des khanats de Crimée et d’Astrakan. En 1552, Ivan le Terribles’empare du khanat de Kazan et massacre une partie de sa population sans pour autant éradiquer la religion musulmane. Il conquiert le khanat d’Astrakan en 1556 mais ce n’est qu’en 1783 que les Russes se rendront maîtres du khanat de Crimée. Ces conquêtes furent suivies d’une russification qui conduisit de nombreux nobles Tatars à se convertir au christianisme… pour ne pas perdre leurs serfs chrétiens. Parmi eux les princes Youssoupov, de la Horde Nogaï dont l’un des derniers descendants, Félix, fut le chef du complot qui aboutit à l’exécution de Raspoutine.
Cependant, l’existence d’un grand nombre de musulmans dans l’empire tsariste conduisit, à l’époque moderne, à la définition d’une politique religieuse caractérisée par une relative tolérance. Lors de la révolte cosaquede Pougatchev qui mit à feu et à sang la basse et la moyenne Volga en 1774, Catherine II signa l’édit de tolérance qui interdisait à l’Eglise orthodoxe d’intervenir dans les affaires des autres religions : l’objectif était d’utiliser la carte musulmane pour faciliter la politique de conquête du Caucase et de l’Asie centrale. De fait, les Tatars y jouèrent un rôle important puisque les populations musulmanes progressivement intégrées à l’empire russe étaient de langue turcique. D’une manière générale, les musulmans de Russie bénéficient d’un mufti à partir de 1782 puis d’une assemblée représentative et de madrasas.
La période soviétique fut celle des persécutions : de nombreux mollahs furent jetés dans les camps du Goulag, 25 000 mosquées furent détruites et des populations entières furent déplacées pendant la Seconde guerre mondiale, notamment les Tatars de Crimée, de nombreux Tchétchènes et des Ingouches. Après la guerre, la formation des imans fut assurée exclusivement par l’Etat et les activités religieuses étaient étroitement contrôlées. La liberté religieuse retrouvée permet une pratique religieuse paisible, à l’exception des républiques du Caucase. L’islam russe est de l’école hanéfite, libérale, et la tradition soufie est forte au Daghestan. Cependant, nul n’ignore les deux guerres de Tchétchénie et les actes terroristes qui endeuillent souvent le Daghestan. Au Tatarstan, le mufti a été blessé dans un attentat le 19 juillet et son assistant a été tué le même jour, preuve que les menaces de déstabilisation existent en dehors du Nord-Caucase.

E. Le Judaïsme russe

Le judaïsme russe est aussi ancien que la Russie elle-même. Des communautés juives existent en Crimée avant les Slaves et elles se développent sur le territoire de l’actuelle Russie à l’époque médiévale, en Ukraine et en Biélorussie.
Le judaïsme deviendra la religion officielle du royaume khazar, établit au 7ème siècle sur une partie de la steppe pontique et qui disparaît à la fin du 10ème siècle.

Cinq siècles plus tard, le mouvement des Judaïsants provoque une violente réaction des autorités et Ivan le Terrible interdit aux juifs de vivre à Moscou. Des décrets d’expulsion de peu d’effets sont pris à leur encontre en 1727 et 1742 puis ils sont assignés à une zone de résidence par Catherine II. Jusqu’à la fin du tsarisme, les Juifs sont discriminés et persécutés lors des vagues de pogroms de la fin du 19èmeet du début du 20ème siècle.

Après la révolution bolchevique, l’antisémitisme d’Etat fait place aux campagnes contre le judaïsme puis à la création en 1934 d’un oblast autonome juif que nous appelons Birobidjan.
A la fin des années quatre-vingt, on comptait trois millions de Juifs en Union soviétique. Dès que la possibilité leur en a été donnée, beaucoup ont émigré en Israël et aux Etats-Unis.
Ils sont aujourd’hui 300 000 et près des deux tiers vivent dans la capitale. Moscou compte actuellement dix écoles juives, cinq synagogues et plusieurs établissements d’enseignement supérieur. Les communautés juives sont regroupées dans deux fédérations, chacune sous l’autorité d’un grand rabbin. Pour la première fois dans l’histoire de la Russie, les relations entre le pouvoir politique et les organisations juives sont excellentes.

F. Les Protestants

Dans la mesure où les protestants s’opposaient au catholicisme, les autorités russes favorisèrent l’expression de leur foi. Ainsi, les marchands danois de Novgorod et d’Ivangorod eurent le droit de construire des lieux de culte. Au 17ème siècle, l’armée préférait recruter des mercenaires suédois plutôt que des « gens de foi romaine ». Par la suite, Catherine II invita trente mille Allemands à s’installer dans la région de Saratov, où furent créés des villages religieusement homogènes – luthériens, réformés mais aussi catholiques… puis le protestantisme gagna le Caucase et aussi certains membres de la noblesse pétersbourgeoise. Après la chute de l’Union soviétique, maints observateurs s’attendaient à un rapide développement de groupes évangéliques très visibles au début des années quatre-vingt dix : le célèbre Billy Graham organisa en Russie une « croisade d’évangélisation » et parvint à réunir 150 000 auditeurs au stade olympique de Moscou en 1992. Cependant, le mouvement de retour aux valeurs traditionnelles de la Russie a freiné cet essor et il semble que le nombre des baptistes et des pentecôtistes soit stable voire, pour ces derniers, en régression.

G. Les Bouddhistes

On oublie souvent que la Fédération de Russie compte un million de bouddhistes. Ce sont les Kalmouks, peuple parlant une langue mongole, qui ont apporté le bouddhisme dans la région de la basse Volga, là où régnèrent les Khazars, et les lamas se virent reconnaître, comme les mollahs, des pouvoirs administratifs à la fin du 19ème siècle. Aujourd’hui, les bouddhistes sont majoritaires dans la République de Kalmoukie, qui a officiellement reçu le dalaï-lama en 2004.

H. La Liberté religieuse en Russie

1. Des Incidents

Les religions traditionnelles – orthodoxe, juive, musulmane et bouddhiste –ainsi que les communautés – catholique et luthérienne – qui ont une reconnaissance étendue ou complète de l’État, n’ont pas signalé decas de discrimination et elles jouissent donc de la liberté religieuse. Toutefois, les membres des «religions non traditionnelles» tels que les Témoins de Jéhovah, les maisons-églises évangéliques et les lecteurs musulmans du théologien turc Said Nursi sont soumis à des violations de la liberté religieuse. La structure juridique vigilante de la Russie contre l’extrémisme peut être partiellement attribuée au conflit en Tchétchénie au cours des années 1990. Les troupes gouvernementales ont combattu des groupes nationalistes et islamistes tchétchènes dans une tentative sanglante pour l’indépendance, provoquant des milliers de victimes. Par ailleurs, la menace du djihadisme islamiste à l’échelle mondiale a également conduit à une plus grande surveillance et à la répression de la population musulmane en Russie. En 2015, sept Témoins de Jéhovah ont été reconnus coupables d’«extrémisme » par le Tribunal municipal de Taganrog, parce qu’ils ont continué à se rassembler pour la prière et l’étude biblique. Quatre des sept personnes ont été condamnées à des peines de prison avec sursis d’au moins cinq ans. En mars 2015, la communauté des Témoins de Jéhovah en Abinsk a été dissoute par le Tribunal régional de Krasnodar pour motif d’extrémisme.  En mai 2016, l’administration centrale des Témoins de Jéhovah en Russie a officiellement reçu une menace de dissolution du Bureau du Procureur général,à la suite de ses activités «extrémistes». Il y a des milliers de congrégations des Témoins de Jéhovah à travers le pays. Ce serait la première fois qu’une « organisation religieuse centralisée » serait liquidée pour des raisons d’« extrémisme ». En février 2015, trois lecteurs de Said Nursi – Bagir Kazikhanov, Stepan Kudryashov et Aleksandr Melentyev – ont été reconnus coupables d’activité extrémiste par le Tribunal du district Lénine d’Oulianovsk. Il s’est avéré que ces hommes se rencontraient régulièrement pour des « réunions de conspiration».  En 2014,Aleksei Kolyasnikov, un pasteur protestant,a reçu une amende de 30 000 roubles par le Tribunal régional de Krasnodar parce qu’il a organisé une séance d’étude de la Bible dans un café à Sotchi pour son groupe chrétien non enregistré. Le groupe se rencontrait régulièrement le dimanche après-midi pour prier et étudier la Bible ensemble. Le pasteur a été jugé coupable de violation de l’article 212.1 du Code criminel, qui pénalise «l’organisation ou la réalisation d’un rassemblement, d’une réunion, d’une manifestation, d’une procession ou d’un mouvement de grève. » De même, d’autres groupes religieux ont reçu une amende pour avoir exercé leur liberté de se réunir et d’exprimer leur foi. En mai 2015, 8 baptistes ont été condamnés à une amende dans la région centrale de la Crimée parce qu’ils ont organisé une réunion religieuse en plein air.

2. Des Perspectives

Malgré les difficultés, il y a des signes d’espoir, notamment la rencontre historique sans précédent en février 2016 entre le pape François et le patriarche orthodoxe russe Kirill à Cuba. Le document conjoint, formulé en 30 points, signé par les deux dirigeants ecclésiastiques – la première déclaration jamais effectuée auparavant – était une étape importante dans une coopération plus étroite entre les Églises, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de la Russie. Les points notables à signaler sont  des positions communes prises au sujet de la défense des valeurs chrétiennes et de l’institution de la famille en Europe, la défense des chrétiens persécutés au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, et un engagement pour la paix dans le monde. Cependant, les difficultés pour les minorités religieuses qui cherchent une légitimité au sein de la Russie persistent. Les descentes de police sur les maisons et les lieux de culte se poursuivent. Les membres des minorités religieuses sont particulièrement exposés au risque de poursuites judiciaires en vertu du Code administratif 20.2. Parmi ces poursuites, beaucoup ont abouti à des amendes, à de la détention de courte durée, au service communautaire ainsi qu’à de plus longue peine d’emprisonnement. Relativement peu d’accusés ont été acquittés. En 2012, le Parlement de la Russie a adopté une loi qui exigeait que toutes les ONG devaients’inscrire comme des «agents étrangers » auprès du Ministère de la Justice si elles se livraient à des «activités politiques » et recevaient des fonds étrangers. En juin 2014, le Ministère de la Justice a désigné 126 groupes comme des «agents étrangers » et, par la suite, beaucoup ont été forcés de cesser leurs opérations. Cette exigence législative a également affecté les minorités religieuses en Russie, parce que le terme «activité politique» est tellement vague qu’il peut même être appliqué à des activités religieuses. En 2015, le Ministère russe de la Justice a rédigé un projet de loi exigeant que tous les groupes religieux recevantle parrainage de l’étranger devaient produire des comptes rendus détaillés sur leurs activités et des informations personnelles sur les employés qui occupent des postes de direction. Le projet de loi, adopté en première lecture, est en attente de nouvelles mesures par la législature. Le paysage religieux de la Russie est complexe parce qu’il a été forgé à travers un vaste territoire, une grande variété de groupes ethniques et de diverses cultures, tout en surmontant un passé soviétique durant lequel de graves persécutions contre les croyants ont été commises. Les craintes sont également à la hausse, compte tenu de la radicalisation islamique croissante au sein de certaines parties des populations musulmanes dans le Caucase du Nord. Bien que la situation de la liberté religieuse en Russie soit en train de s’améliorer, il y a encore des obstacles juridiques rigides, auxquels sont confrontés les groupes religieux minoritaires, tandis que l’État apprend à faire face aux nouveaux groupes religieux.

À propos de l’auteur

Jacques BONNAUD author